Boeing pâtit de son "obsession de la rentabilité", explique François Lenglet
ÉDITO - Dans une interview, Donald Trump a dit sa "grande déception" à l'égard de Boeing en marge de la réunion de Davos. Cette semaine, le constructeur a annoncé que son 737 Max ne revolerait pas avant la mi-2020.

C'est une incroyable affaire que celle qui frappe l'avionneur américain, icône du succès technologique des États-Unis et créateur du mythique 747 dans les années 1960. Cette semaine, la firme a annoncé que son produit phare, le 737 Max, cloué au sol depuis près d'un an après deux crashs qui ont fait 350 victimes ne revolerait pas avant la mi-2020 au plus tôt. Et cela sans compter le temps nécessaire de la certification technique.
C'est tout le plan de charge de l'industriel de Chicago pour les années qui viennent qui se trouve révolutionné car le 737 Max était son avion le plus demandé avec 5.000 exemplaires en commande. La crise de confiance coûterait à Boeing 1,5 milliard de dollars par mois en ce moment et, avec l'impact sur toute la filière avec les sous-traitants, c'est 0,5 points de PIB qui pourrait être ôté à l'Amérique sur le premier trimestre 2020.
Un appareil "conçu par des clowns"
L'enquête sur les deux crashs a révélé d'incroyables négligences techniques et de la part du constructeur et de la part de l'administration américaine aérienne qui certifie l'appareil. Le cœur du problème, c'est le système de pilotage automatique qui nécessitait une formation spécifique pour les pilotes mais que Boeing n'a pas voulu recommander par crainte de réduire la rentabilité de son business.
Plus grave encore : des e-mails internes à Boeing ont été publiés et témoignent d'un cynisme édifiant. Un employé écrit ainsi : "Jamais je ne ferai voler ma famille sur un avion comme celui-là." Un autre décrit l'appareil comme étant "conçu par des clowns et contrôlé par des singes". Un troisième dit encore : "Je serais surpris que l'administration certifie cette merde."
Ces dérives peuvent s'expliquer par une obsession de la rentabilité développée par plusieurs patrons successifs et en particulier par le dernier, au détriment de la culture de l'excellence. Ce dernier patron, Denis Muilenbourg, qui a été viré tout récemment, est quand même parti avec 80 millions de dollars d'actions et de retraite chapeau. Autre problème fatal, les liens trop étroits que l'administration avait développée avec Boeing, en lui permettant d'auto-certifié certaines parties de l'appareil.
Quelles conséquences ?
La crise qui secoue Boeing est sans précédent dans le siècle d'existence de l'entreprise. Même les syndicats de pilotes américains qui sont traditionnellement des fans de Boeing ont pris leur distance. Il va falloir des années pour reconstruire cette confiance. Et il va certainement falloir que Boeing affronte les conséquences juridiques du crash, avec des procès intentés contre l'entreprise par la famille des victimes. Les avocats ont d'ores et déjà annoncé qu'ils allaient utiliser les fameux e-mails révélés pour appuyer leur action.
Côté européen, les dirigeants d'Airbus n'ont fait aucune déclaration pour enfoncer Boeing. Après un accident aérien, les constructeurs se gardent bien de mettre en cause leur concurrent malheureux. Mais les derniers chiffres de ventes sont excellents. Il engrange les commandes et ce ne sans doute pas sans rapport avec l'effondrement de l'Américain.
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