Au moment où Airbus profite de la visite en France du président chinois, Xi Jingping, pour lui vendre 300 avions, son rival américain, Boeing, lui, pique du nez. C'est en fait beaucoup plus grave que cela. L'affaire du Boeing 737 Max, immobilisé après deux crashs qui ont fait 346 victimes ces dernières semaines, menace d'emporter la crédibilité des autorités de l'aviation américaine, réputées être les meilleures du monde. Et elle aura des conséquences chez nous, sur nos avions.
Les 371 aéronefs Boeing 737 dans le monde sont toujours cloués au sol, et ne devraient pas redécoller avant plusieurs mois. Boeing multiplie les efforts, le logiciel responsable du décrochage des avions a semble-t-il été modifié, la formation des pilotes va être adaptée, et le géant aéronautique fait venir chez lui demain, dans ses usines de Renton, près de Seattle, des groupes de pilotes et de responsables de compagnies pour leur montrer et leur faire tester, sur simulateurs, les modifications.
Mais l'affaire est loin d'être terminée. D'abord, Garuda, une compagnie indonésienne, annonce vouloir annuler une commande d'une cinquantaine d'appareils 737 parce que, dit-elle, ses passagers ne veulent plus monter dedans, ils ont peur ! Il faut rappeler que les 737 Max représentent, avec 5.000 commandes, l'essentiel du plan de charge de Boeing pour les dix ans qui viennent. C'est dire l'importance de l'enjeu, de la réputation de cet avion. Ensuite, les questions se bousculent sur la certification de l'appareil par l'administration américaine, la Federal Aviation Authority, la FAA.
C'est à peine croyable mais, sous la pression des lobbyistes de Boeing, qui voulaient accélérer le processus d'homologation des nouveaux appareils, la FAA a sous-traité à des employés de Boeing même le travail. C'est à dire que ce sont des salariés de l'avionneur qui ont audité et validé au plan de la sécurité le système anti-décrochage qui est aujourd'hui incriminé dans les accidents mortels du 737.
Autrement dit, on a demandé au contrôlé de devenir son propre contrôleur... Ce qui représente un conflit d'intérêt manifeste. Tout aussi problématique, après le second crash, la FAA a refusé de suspendre les avions de modèle identique, assurant qu'il n'y avait pas de problème, au mépris de l'évidence. Ce sont les Chinois qui ont pris l'initiative d'interdire les 737, suivis par les Européens et bien d'autres. C'est finalement Trump lui-même qui a annoncé la suspension du 737 avec un tweet. C'est sans précédent.
La réputation de la FAA semble donc compromise. Donald Trump a d'ailleurs nommé un nouveau patron, l'organisme étant sans responsable depuis plus d'un an. Une commission d'enquête parlementaire a été créée pour faire la lumière sur les failles de la FAA. Une autre enquête a été diligentée par la ministre des transports des États-Unis. Mais le mal est fait.
Tous les régulateurs aériens du monde entier, qui suivaient les recommandations de la FAA les yeux fermés, sont aujourd'hui beaucoup plus méfiants. Le Canada vient de déclarer qu'il allait désormais revisiter lui-même la certification du 737, et bien sûr examiner de très près les modifications apportées à l'avion. L'Union européenne a également indiqué que son administration allait auditer elle-même le dispositif, et que le 737 ne revolerait pas en Europe s'il subsistait des inquiétudes. En clair, on n'est pas prêt de voir revenir les 737 Max.
Et alors qu'il existait jusqu'ici un système international de certification des avions piloté de fait par les États-Unis, voici qu'il se disloque, risquant de donner naissance à une organisation fragmentée, potentiellement dangereuse, où chacun des régulateurs ferait la loi chez lui avec ses propres critères de sécurité.