La guerre des vaccins a commencé en Europe. Ce jeudi, un sommet vidéo réunit les leaders européens pour adopter un nouveau règlement qui permettrait d'interdire les exportations de vaccins en dehors de l'Europe, à partir de critères comme la réciprocité. Le pays vers lequel nous exportons a-t-il, lui-même, déjà envoyé de précieuses doses en Europe, ou bien a-t-il tout gardé pour lui ? En tenant compte également de la situation sanitaire du pays concerné.
Signe de la tension qui monte, Thierry Breton, le commissaire européen chargé de la production des vaccins, a diligenté des enquêtes dans les usines européennes de production. Et voilà qu'on vient de trouver dans une usine près de Rome, 29 millions de doses qui n'avaient pas été déclarées et qui s'apprêtaient à être, pour partie, exportées en dehors de l'UE.
L'Europe subit des retards de livraisons, elle cherche à se défendre et elle a dans son viseur un pays : le Royaume-Uni. L'Europe possède 53 usines sur son territoire, qui ont déjà exporté plus de 40 millions de doses, dont 11 millions au Royaume-Uni. Lequel n'a jamais renvoyé l'ascenseur. Il fabrique et garde tout pour lui, ce qui lui a permis d'être l'un des pays au monde qui a le plus vacciné à ce jour, avec quasiment un britannique sur deux qui a reçu au moins une dose. En France, en Allemagne, en Italie, on en est très loin, c'est plutôt un sur huit, en grande partie à cause des retards. C'est la pénurie !
Ces retards sont en grande partie le fait d'AstraZeneca, un laboratoire anglo-suédois, qui exploite une formule inventée par l'université d'Oxford. Sur le mois de mars, ses livraisons seront inférieures de trois quarts à ce qui avait été promis initialement dans le contrat. Et c'est cela qui rend Bruxelles furieux. La Commission a l'impression d'être le pigeon. Impression assez juste.
Elle soupçonne AstraZeneca de favoriser les Anglais et veut que les usines britanniques exportent désormais chez nous pour honorer le contrat passé avec l'Union européenne. Londres n'est évidemment pas d'accord, d'où cette poussée de nationalisme vaccinal, et les menaces européennes.
Le plus belliqueux, c'est Mario Draghi, le président du conseil italien, qui a déjà interdit des exportations. À l'opposé, les pays du Nord, Allemagne en tête, font valoir qu'à ce jeu-là, l'Europe à beaucoup à perdre. Les chaines de fabrication pharmaceutiques s'étirent sur le monde entier. L'Europe n'est qu'un assembleur, avec des sous traitants éparpillés. Si les frontières se ferment, nous n'aurons plus de matières premières.
Sans compter que si vraiment l'Europe adopte ce texte, comment convaincre les firmes pharmaceutiques, demain, de s'installer chez nous, avec la crainte de voir leur production bloquée ? Ce serait un coup porté à l'attractivité. Alors, la solution de bon sens serait un compromis avec le premier ministre britannique Boris Johnson, qui est d'autant plus stressé en ce moment que lui aussi connaît un début de pénurie, qui peut l'empêcher d'administrer la seconde dose à tous ceux qui ont eu la première.
L'encre de l'accord sur le Brexit est à peine sèche que déjà, un sujet de première importance met aux prises Londres et l'Union européenne. Rétrospectivement, cela justifie le choix européen de mutualiser les achats de vaccin. La Commission a vraiment été mauvaise, mais si elle n'avait pas été là, ça aurait peut-être été encore pire.