Ils sont ceux que l'on ne veut pas voir, qui mettent mal à l'aise, que l'on chasse et déplace à coups d'opérations policières médiatisées depuis une quinzaine d'années. Les consommateurs de crack gangrènent le nord de Paris et nous sommes allés à leur rencontre pour comprendre ce qui est mis en place pour tenter de les sortir de leur addiction.
Dans la capitale et ses environs, plus de 440 toxicomanes sont discrètement hébergés dans 55 hôtels par l'association Aurore, qui travaille en lien avec la préfecture dans le cadre du plan crack, afin de les éloigner des spots et tenter de les amener, à terme, vers le long chemin de l'abstinence.
Dans un hôtel proche de la place de la République, Florian, un éducateur spécialisé, commence ses visites en se rendant à Adama, un consommateur âgé de 30 ans aux longs cheveux crépus, qui a les yeux perdus d'un enfant. Ses affaires sont en pagaille, dispersées entre le sol et le lavabo.
Il a connu les plus gros spots, la colline Porte de la Chapelle, les jardins d'Eole et la rue Riquet. Il est dans cet hôtel depuis l'été. Peu à peu, il a réussi à diminuer sa consommation. "Je pouvais consommer peut-être 200 euros par jour, parce que à chaque fois que tu es là-bas, tant que tu te donnes, tu as ton produit, même pour fumer, tu fumes. Maintenant que je suis dans mon coin ici, je n'ai pas besoin de cela, ça me tente pas", confie-t-il.
Arrivé de Côte d'Ivoire en 2015, sans famille, Adama tente ici de se reconstruire. Il a décidé d'intégrer un centre de désintoxication. "L'objectif c'est de lui permettre de ne pas faire de sessions comme il faisait auparavant, de 5-6 jours. Qu'il puisse mettre de la distance, physique déjà, avec le produit et de trouver les ressources qu'ils ont eux-mêmes mais qu'ils n'arrivent pas encore à regarder ou à s'avouer", explique Florian.
Le dispositif de cet hôtel vise à stabiliser les consommateurs avant de les orienter vers d'autres structures, les accompagner dans leurs démarches administratives, refaire leurs documents d'identité, les inscrire à la Sécurité sociale. Adama n'a pas de papiers et risque donc de se faire expulser si il est arrêté par la police.
Dans ces hôtels, près de trois-quarts de ses consommateurs ont dormi dehors durant des années. La rue et la drogue ont laissé des traces sur le corps d'Amadou, 38 ans, visage émacié, dents abîmées, avec une élocution difficile. Un licenciement, une séparation, puis la perte de son logement, l'ont fait basculer. Un soir, il trouve du réconfort auprès d'un ami, qui lui tend sa première pipe à crack.
"Au début de ma galère, je connais quelqu’un, il m'a invité sur la colline. J'ai fait toute la journée là-bas, voilà, je vais goûter encore, je vais goûter encore. Moi personnellement quand je fume, ça me calme en fait, c'est ce côté-là qui m'a attiré, les soucis, tu oublies tout ça, tu peux continuer à faire comme tu veux", explique-t-il.
Dans la rue, il raconte avoir mendié, volé, agressé pour pouvoir se droguer. Amadou n'a pas perdu sa dignité mais l'espoir de retrouver une vie normale. "Des fois, on fait n'importe quoi, que cela soit le vol, le vol des vélos, les voitures, un peu de sous pour aller payer nos doses. Ah oui, on a honte de cela, c'est un démon. Cela, ce n’est pas une vie, c'est pas une vie, tout sauf cela", reconnaît-il.
Aujourd'hui, il se considère comme ceux que l'on ne veut pas voir, que l'on chasse, à coup d'opérations policières médiatisées. "Tu sais, on se cache en fait. On est invisible quoi. Tous ceux qui nous regardent, on n’aime pas cela. C'est comme si cela était écrit sur notre front, c'est un fumeur. Je ne vais pas faire ma vie comme ça, c'est impossible. Je veux essayer d'être comme les autres. Maintenant, Dieu merci, j'ai un endroit pour dormir, c'est sûr et certain", argue Amadou, qui se montre optimiste.
Les hébergements spécialisés fonctionnent pour les consommateurs : la moitié des occupants diminuent leur consommation en l'espace de trois mois, selon l'association Aurore. Selon Kujtim Kaci, le responsable de ce dispositif, "quand on met les moyens et quand on met en place un accompagnement adapté pour chaque situation, on constate que cela marche, que ça va permettre aux personnes de se stabiliser, à commencer à prendre soin d'eux et pour ensuite d'entamer des démarches de soins, de cures et de postcures pour certains".
Mais le chemin vers l'abstinence est encore long. Il est aujourd'hui impossible de dire précisément combien s'en sortiront définitivement et il faut compter en moyenne, 4 ou 5 ans, parfois plus, pour mettre un terme à l'addiction. Un travail de longue haleine, mené discrètement, par les travailleurs sociaux, chaque jour, loin du Nord de Paris.
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