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Beyoncé applaudit Adele lors de son discours de remerciement pour l'Album de l'année aux Grammy Awards, le 12 février 2017
Crédit : Christopher Polk / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
"Je pensais que c'était son année. Que doit-elle faire, bordel, pour remporter l'Album de l'année ?" Voici les propos qu'aurait tenu Adele dans les coulisses des Grammy Awards, dans la nuit du 12 au 13 février, si l'on en croit le quotidien britannique The Independent. La chanteuse londonienne vient alors de gagner le Grammy Award de l'Album de l'année, prix le plus prestigieux de la soirée, pour 25. Adele fait référence à Beyoncé, à qui elle a raflé le trophée. L'interprète de Hello a même cassé son prix en deux pour le partager symboliquement avec sa "rivale", qui est en réalité son idole !
Adele a raison. Avec ses 9 nominations, un record dans l'histoire de la cérémonie, Queen B., comme la surnomme ses fans, aurait effectivement dû être la reine de la soirée. À la place, la Recording Academy, composée de 13.000 professionnels de la musique décidant des nommés et gagnants aux Grammy Awards, ne lui a accordé que deux statuettes (Meilleur album contemporain de musique urbaine pour Lemonade et Meilleur clip de l'année pour Formation). Beyoncé a tout de même soufflé l'assistance avec une prestation hallucinante, vêtue en madone dorée.
Jamais deux sans trois. Beyoncé en a fait l'amère expérience ce week-end. Nommée pour la troisième fois de sa carrière pour le Grammy Award de l'Album de l'année, la chanteuse texane n'a toujours pas mis la main dessus. On se souvient encore de l'indignation de Kanye West, monté sur scène en 2015 lorsque Beck l'a emporté face à elle dans la même catégorie. Sur les réseaux sociaux, les membres de la Beyhive, nom officiel de sa communauté de fans, sont écœurés. "Encore une fois, une femme noire doit travailler 4 fois plus pour recevoir la moitié de la reconnaissance. Beyoncé aurait dû gagner pour Lemonade", dit l'une d'elles.
Avec ses 9 nominations, Beyoncé partait grande favorite de la soirée. La chanteuse avait battu un double record avant le début de la cérémonie. Celui du nombre de nominations pour une même édition des Grammy Awards, et le plus grand nombre de nominations dans la carrière d'un artiste : 62. Avec ses deux nouveaux trophées, Beyoncé reste la 2e artiste féminine à détenir le plus grand nombre de Grammy : 22, derrière la chanteuse country Alison Krauss.
Lemonade est le disque de tous les records pour Beyoncé. À sa sortie, il se classe directement en tête des ventes. L'ancienne membre des Destiny's Child devient la première artiste américaine à avoir 6 albums au sommet du top 50 dès leur sortie.
Le phénomène est tel que Beyoncé se retrouve en couverture de Rolling Stone, qui désigne Lemonade meilleur disque de l'année 2016. C'est la première fois que le très respecté hebdomadaire culturel et d'actualité choisit une artiste noire. Même si Adele a vendu bien plus d'exemplaires de 25, Lemonade a ouvert des portes et des records à Beyoncé.
Adele l'a dit elle-même sur la scène des Grammy Awards. Avec Lemonade, Beyoncé nous a ouvert la porte de son intimité comme jamais. Pour une popstar aussi à cheval sur le contrôle de son image, dont la vie personnelle est régie par un storytelling maîtrisé auquel autant d'attention est apporté qu'à ses chansons, parler des infidélités de son époux, le rappeur Jay-Z, est une mise à nue sans précédent.
Même dans la peine, la chanteuse garde son cap de femme forte faisant face aux coups durs. "Every diamond has imperfections" ("Chaque diamant a ses imperfections"), chante sur All Night celle qui travaille sans relâche depuis son plus jeune âge pour arriver au sommet. De son côté, Adele a fait de ses superbes chansons d'amour son filon dès le début de sa carrière, et 25 ne déroge pas à la règle. Rien de nouveau pour la sympathique chanteuse britannique.
Lemonade est aussi le disque où Beyoncé a arrêté d'être consensuelle. Pour la première fois de sa carrière, la popstar a brandi en étendard son identité afro. Une énorme part de sa vie qu'elle n'avait jamais mise en avant. Le prix à payer pour plaire au plus grand nombre, notamment au public WASP. Assise sur son trône, Queen B a enfin pu s'assumer pleinement, et montrer la voie de la fierté à la jeune génération d'Afro-Américains en recherche de modèles. Récompenser Beyoncé avec l'Album de l'année aurait permis de reconnaître ce tournant culturel important.
Le virage à 180 degrés s'est fait au rythme implacable de Formation, premier single tiré de Lemonade. Dans cette chanson sans concession, Beyoncé chante ses racines afro "I like my negro nose with Jackson Five nostrils" ("J'aime mon nez de négro avec des narines à la Jackson 5"). Le clip fait figurer les mères de jeunes noirs assassinés par la police. La chanteuse apparaît même assise sur le toit d'une voiture de patrouille prenant l'eau. L'album est accompagné d'un film superbe, avec de nombreuses invitées de couleur. Un travail de titan et porteur de sens.
Le changement de ton est si radical que l'émission satirique culte Saturday Night Live y consacre un sketch hilarant. Tourné façon film catastrophe, il s'intitule : "Le jour où Beyoncé est devenue noire". Les blancs y apparaissent complètement déroutés par le nouveau single de Queen B., qui ne leur parle pas.
En ayant préféré Adele à Beyoncé, la Recording Academy montre qu'elle n'est pas, au mieux, audacieuse, au pis, ouverte d'esprit. Voire, raciste ? Depuis quelques années, l'instance est accusée par certains artistes de ne pas récompenser de personnes de couleur dans ses catégories les plus prestigieuses.
Résultat : quelques-uns ont décidé de boycotter l'édition 2017. À commencer par... Kanye West. L'éternel rebelle du hip-hop américain est un habitué des scandales lors des cérémonies, contre lesquelles il a souvent une dent. Dans un tweet posté en février 2016, il s'adresse au président de la Recording Academy, Neil Portnow : "Neil, recontacte-moi le plus vite possible, pour que nous puissions rendre à nouveau les Grammy culturellement représentatifs".
De son côté, le rappeur Frank Ocean, noir et gay, a refusé d'être nommé aux Grammy Awards pour son 2e album très attendu, Blonde. Dans une interview accordée au New York Times en novembre dernier, il s'en est pris à la Recording Academy : "Cette institution a bien sûr une importance empreinte de nostalgie. Elle ne semble juste pas bien représenter les gens venant du même endroit que moi, et qui ont les mêmes valeurs". Il fait ensuite remarquer au journaliste que seule une poignée d'artistes afro-américains ont remporté l'Album de l'année, comme Quincy Jones et Ray Charles. Il rêve que le système de nomination et de vote soit revu.
La Recording Academy aurait-elle les mêmes vices que l'Académie des Oscars ? L'année 2016 a été marquée par l'affaire #OscarsSoWhite, dénonçant le manque de représentativité des nominations. Plusieurs grands noms avaient boycotté l'événement, dont Will Smith et le réalisateur Spike Lee.
Lors de sa déclaration d'amour à Beyoncé en recevant le Grammy du Meilleur album, Adele l'a aussi remerciée de "permettre à ses amis noirs de porter leur cause". Qu'une artiste blanche aussi respectée tienne ce discours devant l'ensemble de la profession est salutaire et crucial. Un message que la Recording Academy ferait bien d'entendre.
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