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Orthographe : faut-il écrire "crée" ou "créée" ?

Le verbe créer et ses conjugaisons farceuses fait s’interroger bien du monde. Muriel Gilbert distingue le vrai du faux.

Une personne pendant un cours d'écriture (image d'illustration)

Crédit : Neonbrand / Unsplash

Orthographe : crée... ou créée ?

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Muriel Gilbert

Aujourd’hui, on parle de E, et de E au pluriel, chers amis des mots. De E multiples et successifs, qui sont parfois bien surprenants dans notre orthographe française. C'est pour répondre à la délicieusement nommée Tartinettes sucrées (Tartinettes sucrées au pluriel aussi, d’ailleurs, on voit bien la gourmande), qui m’écrit ceci sur Instagram : "Bonjour Muriel, Je vous adore – comment voulez-vous que je ne me mette pas en quatre pour lui répondre après pareille présentation ? – [Voici sa question :] On écrit parfois crééeeeeee avec un nombre incalculable de E. Pouvez-vous m’expliquer la règle qui fera de moi un génie ?"

Eh bien qu’à cela ne tienne, on va essayer ! Alors, c’est vrai, quand on écrit "Cette robe ou cette pièce de théâtre, ou cette tarte aux pommes a été créée par Unetelle ou Untel", bref créée au féminin, c’est 3 E de suite – pas un nombre incalculable, chère Tartinettes : juste 3.

C’est vrai, c’est déjà pas mal, et surtout c’est inhabituel en français, où d’ordinaire, si on voit souvent deux lettres identiques en succession, surtout des consonnes d’ailleurs, comme les deux C et les deux S de succession ou les deux N de consonne, on ne voit jamais trois lettres identiques d’affilée. Ou presque jamais, car en effet, créée au féminin, c’est bien trois E. Plus exactement, ce sont deux E avec accent aigu, un E final sans accent (et qui d’ailleurs est un E muet, on ne le prononce pas, il est là pour marquer le féminin).

Une orthographe bizarre à l'infinitif...

Vous me demandez une règle, Tartinettes… j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous : la mauvaise, c’est qu’il n’y a pas de règle à proprement parler. La bonne c’est... qu’il n’y a pas de règle. Ou plutôt, que vous la connaissez déjà. Le verbe créer, pour étrange qu’il soit, suit bien les règles classiques de la conjugaison française, c’est un verbe tout à fait régulier, puisqu’il fait partie du premier groupe, celui des verbes en ER, comme jouer ou manger, le groupe le plus simple et le plus connu de tous.
Le hic, c’est juste que créer à l’infinitif a déjà une orthographe bizarre… et qui devient en effet parfois carrément étonnante au gré des conjugaisons. Créer vient du latin creare, verbe issu de la même racine qu’un autre verbe, crescere, qui a donné notre verbe croître et la croissance.

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En fait, au départ, au XIIe siècle, créer affichait une apparence encore plus atypique car il ne portait pas d’accent sur le premier E puisque les accents arrivent des siècles plus tard en français. Creer, au Moyen Âge, c’est "faire pousser, faire grandir, produire", selon le Dictionnaire historique de la langue française. Le verbe “est ensuite passé dans l’usage courant avec le sens de ‘faire naître’ (au propre et au figuré)", faire naître un enfant, faire naître la joie. En fait, creer a surtout à l’origine une valeur religieuse… comme dans la Création avec un grand C : "Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre (…) Dieu créa l’homme et la femme", etc.

Comment devenir un génie des E !

Pour revenir à ce qui surprend tant notre Tartinettes, dans un verbe, il y a ce qu’on appelle le radical, la racine, qui ne change pas dans la conjugaison, en tout cas pour la plupart des verbes, ceux qu’on qualifie de "réguliers", et puis il y a les terminaisons qui, elles, changent selon les temps (passé, présent, futur) et les personnes (je tu il). Le radical du verbe jouer, c’est jou, celui du verbe créer, c’est cré. Donc la règle, c’est simple : il s’agit d’ajouter au radical cré les mêmes terminaisons qu’on ajoute au radical jou de jouer. Je joue JOU+E, donc je crée CRé+E. Elle a joué JOU+é, donc elle a créé Cré+é. Et à l’infinitif on a JOU + ER, donc on a Cré+ER.


Quant aux trois E d’affilée, comme je le disais, c’est uniquement au participe passé, quand il est accordé au féminin. La robe que j’ai créée, la dispute qu’il a créée. Au masculin, on se passe du E muet final : Le pantalon que j’ai créé, L’embouteillage qu’ils ont créé.

Ah, et pour info, créer est le plus connu et le plus utilisé, mais il est loin d’être le seul verbe à arborer ainsi trois E au participe passé féminin… D’abord, naturellement il y a tous les dérivés de créer, comme recréer ou cocréer, mais il y a aussi gréer (équiper un voilier de son grément), agréer (les sentiments distingués), maugréer (quand on fait les choses de mauvais gré), ou suppléer, ce que fait le suppléant… Et voilà, Tartinettes sucrées, vous êtes désormais un génie des E !

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