- Accueil
- Culture
- Culture générale
- Langue française : quel est le lien entre le secret et le secrétaire ?
Langue française : quel est le lien entre le secret et le secrétaire ?
Muriel Gilbert consacre un Bonbon sur la langue au roman vainqueur du Prix du livre RTL-Lire : "Ta promesse" de Camille Laurens, publié chez Gallimard.
Le Prix du livre RTL-Magazine Lire 2025 a été décerné à Camille Laurens, pour son roman Ta promesse, publié chez Gallimard. J’ai eu la joie et la fierté que Bernard Lehut, "M. Livre" de RTL jusqu’à l’an dernier et grand maître d'œuvre de ce prix depuis des années, me propose de faire partie du jury présidé par Philippe Labro. Profitant de ma gratitude, sans doute, il m’a demandé, pour la soirée de remise du prix, un Bonbon sur la langue spécial… que voici !
Cette Promesse commence comme un thriller– oui, c’est un mot anglais, mais au passage, même l’Académie française, si franco-française et conservatrice, reconnaît que, n’ayant pas d’équivalent dans notre langue, "il n’a pas à être traduit". Bref thriller est devenu français en 1927, voilà presque cent ans, tamponné, validé par la Vieille Dame du Quai Conti.
Je me suis donc arrêtée sur la première scène de Ta promesse, le prologue, que Claire, le personnage principal, qualifie, par ce que l’on appelle un "oxymore" de "dernière page" de son histoire – un oxymore, une jolie figure de style qui consiste à associer deux mots en apparence contradictoires, comme quand on parle de "silence éloquent" ou de "douce violence".
Nous sommes en fait à la page 14 de l’édition Gallimard. Dans le petit secrétaire de son entrée, qu’elle croit connaître comme sa poche… Claire découvre un tiroir secret. "Secret", "secrétaire" : n’y aurait-il pas là comme une parenté ?, me suis-je demandé.
Naturellement, à l’origine du secrétaire, il y a le secret. Secrétaire, selon le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, descend du verbe latin secernere, qui veut dire "écarter". Le verbe latin a aussi donné secretarium, désignant un "lieu retiré, isolé". "Mettre au secret", à l’origine, c’est mettre à l’écart. Sous l’Ancien Régime, être mis au secret, c’était être emprisonné et privé de toute communication avec l’extérieur. Plus tard, secret, par extension, devient une “pensée ou un fait qui ne doit pas être révélé”.
Pas encore un meuble...
Le mot a aussi désigné dès l’origine, au début du XIIe siècle, un ensemble de connaissances réservées à quelques-uns, connotation qui fait assez rapidement du secrétaire l’individu dépositaire d’un secret, d’où également le sens de "personne attachée à un grand personnage", puis de "secrétaire d’État", synonyme de "ministre". Vous aurez noté que jusque-là le mot secrétaire ne désigne pas encore un meuble… et qu’il est employé exclusivement au masculin...
Alors quand LA secrétaire fait-elle son entrée ? Seulement à partir de la fin du XIXe siècle, en même temps que la machine à écrire, eh oui, avec un sens beaucoup moins prestigieux, au féminin : celui de personne chargée de rédiger le courrier et de répondre au téléphone pour le compte d’un supérieur qui, lui, se trouve en général d’ailleurs être un homme.
Ce sens est devenu si majoritaire au XXe siècle, et si péjoratif, il faut croire, qu’Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française de 1999 à son décès en 2023, a toujours exigé d’être appelée "madame LE secrétaire perpétuel". Témoin également du caractère ressenti comme péjoratif de l’appellation de secrétaire au féminin : dans les entreprises, on préfère depuis des années les qualifier d’assistantes.
Et, pour revenir à notre meuble à tiroirs, eh bien, ce n’est qu’au XVIIIe siècle, soit finalement très récemment par rapport à l’histoire de notre langue que, par ce que les linguistes appellent une métonymie, un déplacement de sens, le secrétaire devient (aussi) un bureau sur lequel on écrit, souvent doté de tiroirs, renfermant des papiers – et éventuellement pourquoi pas… des secrets !
