Le sujet du jour devrait faire plaisir à Stéphane Carpentier : c’est lui qui l’a (fortement) suggéré ! Amis des mots, voyez un peu le message que j’ai reçu il y a quelques jours : "Tu peux nous faire une chronique sur 'arrêtons de dire les naufragés de la route' !!! Naufragé c’est pour un bateau non ?… ça m’agace. C’est tout. Bises".
J’avoue que j’ai bien ri en recevant ce message. Ce que je trouve surtout amusant, c'est qu’en matière de langue, chacun a ses propres agacements bien à lui. Parler de naufragés de la route, c’est une image, bien sûr, une image maritime appliquée à une situation qui se passe sur la terre ferme, OK.
Le plus surprenant étant peut-être qu’en général on parle de naufragés de la route alors que la plupart du temps les voitures sont bloquées non par les eaux mais par la neige ou le verglas. Enfin, tout ça après tout, c’est de l’eau… sous forme solide.
Le naufrage, au sens propre, c’est la perte d’un bâtiment en mer, selon la définition du Larousse. Faire naufrage, c’est couler. Donc Stéphane a raison, à proprement parler, un naufrage, ça se passe dans l’eau. En fait, l’image du "naufragé de la route" est très récente – elle date du XXe siècle, évidemment, il fallait déjà qu’il y ait des voitures. Et même elle date de la fin du XXe siècle.
Ce qui est agaçant, c’est sa surutilisation. Une image, ou une métaphore, ça sert à quoi ? À rendre plus concrète et frappante une réalité que l’on veut raconter. Il n’y a pas vraiment de nom pour les gens qui sont bloqués par la neige avec leur véhicule.
Comme un naufragé, en mer, c’est quelqu’un qui est coincé, sans défense, et qui attend du secours, l’inventeur de cette image, qui était sans doute un journaliste, eh bien reconnaissez qu’il s’était montré particulièrement créatif.
En fait, ce qui est particulièrement crispant, c’est le fait que cette image soit devenue un cliché. François Cavanna, dans son exquis ouvrage Mignonne, allons voir si la rose…, une délicieuse lettre d’amour à la langue française, dit qu'"un cliché est une très belle expression qui est tombée dans le domaine public".
C’est une image qui a trop bien réussi, qui a trop plu, et qui par là même a perdu toute sa beauté poétique, toute la force qui émanait de sa nouveauté… et qui devient par là même le comble du ringard. Le premier qui emploie une image nouvelle est un poète. Ceux qui suivent sont… des suiveurs. Et qui deviennent carrément horripilants à mesure qu’ils se multiplient.
Il y a un autre poncif de la presse en matière de difficultés de transports : les usagers "pris en otage". Là, l’expression est moins innocente : c’est une façon de dénoncer les grévistes, taxis ou routiers qui bloquent les routes, cheminots ou aiguilleurs du ciel qui empêchent les voyageurs de voyager.
Et tenez, je pense à une dernière image liée au naufrage qui est entrée dans notre langue… une expression plutôt littéraire : "tomber de Charybde en Scylla", qui signifie "aller de mal en pis"… L’origine de l’expression remonte à la mythologie grecque. Charybde est un tourbillon de l’entrée du détroit de Messine, au large de l’Italie, que redoutaient les marins grecs.
"Si, par chance, les marins n'étaient pas engloutis par le tourbillon Charybde, le bateau, désorienté, allait souvent s'écraser sur le rocher [appelé] Scylla" qui était juste à côté, raconte le Larousse. Voilà comment on tombe de Charybde en Scylla. Ah, et pour l’orthographe de cette expression-là, amis des mots, il y a deux Y… accrochez-vous : CHARYBDE en SCYLLA… Bref, avant de l’écrire, n’hésitez pas à ouvrir votre dictionnaire !
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