Langue française : "Malgré que" est-il vraiment une faute ?

Nous allons nous pencher sur une façon de parler qui est devenue fautive, et qui ne l’était pas forcément voici quelques décennies. C’est Michel, de La Rochelle, qui m’a inspirée en me demandant si "malgré que" était ou non un barbarisme. 

Ce lecteur assidu s’étonne en effet d’avoir découvert plusieurs fois cette locution sous la plume de grands auteurs. Revenons d’abord aux origines de ce malgré… C’est assez évident, quand on y pense : malgré, c’est mal-gré : "de mauvais gré", "contre le gré de quelqu’un". Au départ, on a même dit maugré, devenu synonyme de "déplaisir, peine", qui a donné un verbe toujours actuel : maugréer, c’est-à-dire "manifester son mécontentement en grommelant".

À l’appui de ses dires, Michel me cite Marcel Proust. Dans le troisième volet de A la recherche du temps perdu, celui qui s’intitule Le Côté de Guermantes, il écrit la phrase suivante : "Malgré que Mme Sazerat ne le divertît pas, la rencontrant, il alla vers elle". Proust, ce n’est pas n’importe quel auteur…

Et surtout ce n’est pas le seul, car Michel poursuit avec un exemple tiré de l’une de ses dernières lectures, L’Ile à hélice, de Jules Verne en 1895. “Dans le chapitre IX, m’écrit Michel, à propos du climat des îles Sandwich, je lis : "C’est l’un des plus salubres de ces parages de l’océan Pacifique, malgré que le groupe occupe une région désignée sous le nom de mer des Chaleurs".

Larousse.fr donne même des exemples de "malgré que" chez Baudelaire, qui écrit : "Malgré que j’aie toujours étouffé dans mon cœur le patriotisme exagéré", et chez André Gide, dans La Symphonie pastorale : "Mes enfants la revoient toujours avec plaisir, malgré que leurs goûts et les siens diffèrent de plus en plus." Étonnant, n’est-ce pas ?

En 2025, "malgré que", on évite !

Alors, "malgré que", c’est une faute, ou non ? À l’oral, on l’entend fréquemment, mais c’est considéré comme maladroit, et encore davantage à l’écrit. Tous les dictionnaires et les grammaires actuels recommandent d’éviter de dire : "Malgré que j’aime les croissants, je préfère les pains au chocolat". On dira "Bien que j’aime les croissants" Ou "quoique j’aime les croissants", ou "encore que j’aime les croissants". Il y a quantité de possibilités considérées comme plus correctes.

Et, si l’on tient à utiliser malgré, c’est possible aussi, il suffit d’éviter le que : "Malgré mon amour (ou mon goût) pour les croissants, je préfère les pains au chocolat." Mais, je le répète souvent, la langue évolue, c’est même ce qui fait la différence entre une langue morte, comme le grec ancien ou le latin, et une langue vivante comme notre français. 

Le roman de Gide est sorti en 1919, celui de Proust a été publié en 1920, celui de Jules Verne en 1895, tandis que Baudelaire est mort en 1867. Cela fait un peu plus de cent ans, un pouième, au regard de l’histoire du français, et pourtant déjà, il faut croire qu’il a changé, car des auteurs de cette catégorie n’utiliseraient plus "malgré que" aujourd’hui.

Attention, il y a un usage de "malgré que" qui a toujours été admis, et qui le demeure, mais qui est devenu très littéraire et inusité. Notre ami des mots rochelais l’a trouvé chez Jean-Jacques Rousseau, par exemple, qui écrit en 1762, dans La Profession de foi du vicaire savoyard : "Mes sensations se passent en moi, puisqu'elles me font sentir mon existence ; mais leur cause m’est étrangère, puisqu’elles m'affectent malgré que j’en aie". 

Ce "malgré que j’en aie", "malgré que tu en aies" "malgré qu’il en ait", etc. signifie "bien que ce soit à contrecœur", "bien que cela me contrarie", "malgré moi". Mais c’est un usage en voie de disparition, lui aussi, que les dictionnaires considèrent comme vieilli. Bref, en 2025, "malgré que", on évite !

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