La pandémie de Covid-19 a des conséquences insoupçonnées : aux Etats-Unis, l'industrie du don de sperme se retrouve en crise, avec le développement d'une marché parallèle.
Un reportage du New York Times, aperçu dans le Courrier International, décrit l'épuisement des donneurs de sperme américains. Être donneur, c'est du sport, et pas comme on le croirait : il faut envoyer sa production dans des dispositifs de recueil ultra-modernes, faire des tests ADN dernier cri, et parfois, prendre sa voiture pour être à Dallas ou à Portland juste à temps pour la fenêtre d’ovulation d’une receveuse. Tout cela en plus d'un vrai travail.
À la fin, “les gens en ont marre des banques de sperme”, explique Kyle, Californien de 29 ans qui gagne sa vie en investissant dans l’immobilier, mais passe le plus clair de son temps à faire des dons de sperme en direct, sans passer par une banque. Il gère un groupe Facebook privé de près de 11.000 membres baptisé "Sperm Donation USA". Objectif: permettre aux demandeuses d’entrer en contact avec des centaines de donneurs approuvés.
Mine de rien, le sperme devient une denrée rare. À la banque du sperme de Seattle, l’une des plus grandes du pays, “nous avons généralement 180 donneurs sur nos trois sites, explique une responsable, aujourd’hui, ils ne sont plus que 117”.
Le coronavirus a changé la donne. Les inscriptions ont été suspendues pendant les mois de confinement. Les donneurs ont ensuite eu peur de se rendre dans ce genre d'endroit. Le recrutement est de plus en plus problématique. Alors, les banques de sperme innovent : certaines font de la pub près des sentiers sportifs, d’autres seraient même prêtes à verser un petit bonus en liquide. Cela n’est pas très légal : théoriquement, la rémunération doit seulement indemniser le temps passé et les frais de déplacement.
Dans les banques, les règles sont strictes, ce qui complique encore les choses. Après le don, le sperme est mis en quarantaine pendant six mois. Le donneur doit ensuite retourner dans la banque pour réaliser un test sanguin. C'est anonyme, et un homme ne peut pas donner à plus de 25 ou 30 familles, pour éviter les problèmes génétiques.
Dans le même temps, depuis dix ans, la demande en bébés semble insatiable, avec la légalisation du mariage homosexuel ou les femmes célibataires qui veulent devenir mères. Et puis, un étrange effet confinement : dans les centres de fertilité, le nombre de patients a augmenté de 30 % avec la pandémie. Partout, c’est la foire d’empoigne.
La banque de Seattle a récemment proposé "35 paillettes" d’un homme particulièrement beau, brun aux yeux bleus. “Je les ai mises en ligne à 6h30 du matin et elles étaient toutes parties avant 10 heures", affirme le directeur, qui dit n'avoir jamais vu ça. C’est pourtant bien cher : plusieurs milliers de dollars pour une grossesse. Cher, et compliqué. Voilà pourquoi les femmes se tournent désormais vers des voies moins légales, les fameux groupes Facebook et leurs Sperm Kings, les donneurs étalons… Ils donnent rendez-vous aux futures mamans dans des logements Airbnb loués pour l’après-midi.
Le transfert de la semence se fait à la bonne franquette, dans un petit pot en plastique. Souvent, les hommes donnent gratuitement ou presque. Là, pas de réglementation, pas de traçage, et les donneurs dévoilent leur identité. Certains postent même des photos avec leurs propres enfants. L'objectif, c'est une insémination artificielle, mais certains hommes proposent l'insémination naturelle, c’est-à-dire un rapport sexuel.
On voit bien l'écueil : la ligne entre l’altruisme et le sexe peut vite devenir floue. Les risques légaux ne sont pas négligeables non plus, notamment que la mère demande au donneur une pension alimentaire ou que le donneur veuille faire valoir ses droits sur son enfant. Mais à l’arrivée, c’est nettement moins cher. Une femme témoigne : “chacun de nos bébés a coûté 136 dollars”.
Les donneurs de sperme ne savent plus où donner de la tête : c'est le titre de cette grande enquête à lire dans le Courrier International.