Accord du participe passé : faut-il écrire "elle s’est laissé tenter" ou "laissée tenter" ?

Amis des mots, la bête noire orthographique refait surface : le participe passé ! C’est à la demande Hervé, de Villejuif, dans le Val-de-Marne, qui écrit : “Je viens de dévorer avec gourmandise votre dernier livre, Le Petit Gilbert, et j'y ai pris beaucoup de plaisir, parce que j'y ai appris beaucoup de choses, et surtout beaucoup de choses inattendues.”

Mais Hervé “réclame une explication". "Page 88, dit-il, vous écrivez : '... qui m'a entendUE évoquer un de mes livres...'. Mais page 265, je lis : '... je me suis laissé tenter…'.  Je ne peux croire un seul instant que vous ayez commis une erreur. Donc, il y a une explication à cette différence d'accord du participe. Mais elle me dépasse ! Auriez-vous la gentillesse de m'expliquer cette bizarrerie ?”

Effectivement, c’est troublant. Dans un cas, le participe passé est accordé au féminin ; dans l’autre, non. Hervé a relevé là deux des diableries du participe passé, des cas particuliers où il est suivi par un verbe à l’infinitif. 

Accrochez-vous un peu au bastingage, amis des mots, et commençons par le premier : "il m’a entendu/e évoquer un de mes livres". Là, c’est l’accord du participe passé avec les verbes de perception à l’infinitif. Les verbes de perception, c’est voir, entendre, écouter, observer, sentir… : en bref, les verbes liés aux cinq sens. Dans ce cas, la règle est la suivante : "on accorde si le COD placé avant fait l’action exprimée par l’infinitif".

Avec des exemples, c’est enfantin. Selon que l’action du verbe à l’infinitif est faite ou subie, on accorde ou non. Par exemple : "Valérie, que j’ai entendu/e chanter" : est-ce que Valérie chante ? Oui. Donc on accorde entendue au féminin : entendue. "Valérie, dont j’ai entendu/e chanter les louanges". Est-ce que Valérie chante les louanges ? Non, c’est quelqu’un d’autre qui chante les louanges de Valérie, donc dans ce cas, on n’accorde pas : entendu.

Elle s'est laissée tomber, mais elle s'est... laissé tenter

Autre exemple : "la pièce de théâtre que j’ai vu/e jouer". Est-ce que la pièce de théâtre joue ? Eh non, elle est jouée. Donc, on n’accorde pas : "la pièce de théâtre que j’ai vu jouer". En revanche, "l’actrice que j’ai vu/e jouer" ? Là, c’est elle qui joue, donc on accorde : "l’actrice que j’ai vue jouer". 

Voilà : en résumé, c’est simple : on accorde si la personne ou l’objet dont il est question accomplit l’action. Donc, quand Muriel Gilbert écrit "il m’a entendue évoquer un de mes livres" : UE puisque notre experte est du genre féminin.

Et pour le deuxième cas que relevait Hervé, le cas du participe passé "laissé" : "Muriel s’est laissé/e tenter"… que l'on a cette fois pas accordé : laissé. Pourquoi ? La règle traditionnelle, celle que l'on a appliquée ici, est la suivante : encore une fois : "Le participe passé du verbe se laisser ne s'accorde pas quand il est suivi d'un verbe à l'infinitif si le sujet ne réalise pas l'action.”

Dans "Muriel s’est laissé/e tenter" : est-ce que c’est Muriel qui tente ? Non. Donc pas d’accord : laissé. En revanche, si j’avais dit : "Muriel s’est laissé/e tomber sur le canapé" ?  Là, c’est Muriel qui tombe… donc on accorde : "Muriel s’est laissée tomber sur le canapé" : laissée.

Bonne nouvelle : la réforme de l’orthographe de 1990 propose de rendre le participe passé laissé invariable… Donc, dans le doute, n’accordez pas, on ne pourra pas vous le reprocher : "elle s’est laissé tenter", "elle s’est laissé tomber", même combat.

Si vous avez envie de parler des beautés de la vie et de l’orthographe, notre experte vous attend toute la journée du samedi 28 septembre au salon du livre de Marguerittes, près de Nîmes, et donnera même une conférence sur le thème "N’ayez pas peur de l’orthographe" !

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