Notre-Dame de Paris : pourquoi l'installation de vitraux contemporains fait polémique

En ce week-end pluvieux de Journées du patrimoine, l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris propose aux visiteurs une plongée dans le chantier de restauration de la cathédrale, moins de trois mois avant sa réouverture au public, le 8 décembre prochain. 

Tout est bientôt prêt pour le retour des fidèles et passionnés, mais un élément reste en suspens : la présence de vitraux contemporains. Le 8 décembre 2023, en plein cœur du chantier de Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron révélait son intention de créer un musée de l'œuvre de la cathédrale de Paris et l'installation dans la cathédrale six vitraux contemporains réalisés par un artiste choisi sur concours. 

Si l'impact de notre siècle sur l'histoire de la cathédrale est déjà considérable par sa destruction partielle dans l'incendie du 15 avril 2019, le chef de l'État et l'archevêque de Paris souhaitent une empreinte plus positive, "la marque du siècle", sur l'édifice.

Le premier des deux "symboles" annoncés par le chef de l'État, musée à l'image de celui consacré à cathédrale de Strasbourg ou du Museo dell'Opera del Duomo à Florence, a été plutôt bien accueilli par les défenseurs du patrimoine. Le second a provoqué leur colère. 

Le chef de l'État précise que cette demande a été formulée par Mgr Ulrich, archevêque de Paris depuis avril 2022, dans une lettre révélée par RTL quelques jours plus tôt.  "J'y souscris pleinement", assure Emmanuel Macron, qui confirme que "six vitraux du côté sud" seront "changés".

Quels sont les vitraux destinés à être remplacés ?

Mentionnés dans la lettre de l'archevêque, ces vitraux à motifs géométriques appelés "grisailles" sont ceux de 6 des 7 chapelles du bas-côté sud. Classés au titre des monuments historiques, ils n'ont pas été endommagés et encore moins détruits par l'incendie. Selon nos confrères du Monde et de La Tribune de l'art, ceux-ci ont même fait l'objet de travaux d'entretien après l'incendie.

Comme beaucoup d'autres éléments constitutifs de l'identité de Notre-Dame de Paris telle que nous la connaissons, ces vitraux ont été savamment imaginés par Eugène Viollet-le-Duc, architecte de la grande restauration de la cathédrale au XIXe siècle. Comme le rappellent les opposants au projet, ces vitraux appartiennent à un ensemble plus vaste conçu pour parvenir à une harmonie, issue du travail historique de l'un de nos plus grands spécialistes de la restauration d'édifices médiévaux.

Qu'est-ce que la CNPA et quelle est la valeur de son avis ?

La polémique a immédiatement suivi l'annonce du chef de l'État : une pétition lancée par le directeur de la rédaction de La Tribune de l'Art lancée deux jours plus tard, le 10 décembre 2023, atteint aujourd'hui plus de 200.000 signatures. 

Conséquence, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), qui devait initialement rendre un avis en novembre 2024 après le choix de l'artiste lauréat, s'est saisie de la question dès le mois de juillet. 

Selon les révélations de nos confrères du Figaro, cette commission a voté "à l'unanimité" contre l'installation de vitraux contemporains à la place de ces six vitraux créés sous la direction de Viollet-le-Duc. 

Dans son avis, purement consultatif, la commission avance notamment le fait que ces vitraux n'ont pas été endommagés par l'incendie, et s'appuie sur la Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments, que la France a adoptée en 1965 et qui recommande de ne pas détruire un élément classé monument historique pour le remplacer par un élément contemporain. 

"On ne va quand même pas déposer et mettre dans des caisses des vitraux classés monuments historiques signés Viollet-le-Duc, grand architecte de la rénovation de Notre-Dame au XIXe siècle, qui ont servi de mètre étalon à la restauration actuelle !", s'étonne un membre de la commission dans les colonnes du Monde.

Qui sont les artistes sélectionnés pour les vitraux contemporains de Notre-Dame de Paris

La première liste comportant les noms de plusieurs dizaines de candidats a par ailleurs rapidement nourri les rumeurs et fausses informations sur les réseaux sociaux quant à la direction artistique du projet choisi pour la cathédrale Notre-Dame de Paris. 

Le 11 septembre dernier, le ministère de la Culture a finalement annoncé la sélection de huit artistes (parmi lesquels une artiste verrière et des grands noms de la peinture et de l'art contemporains), qui auront jusqu'au 4 novembre pour rendre leur projet concernant ces vitraux. 

L'artiste Pascal Convert, qui devait initialement faire partie de cette sélection, a retiré sa candidature au lendemain de l'avis de la CNPA, refusant de "s'associer à une manœuvre qui, une nouvelle fois, disqualifie les corps intermédiaires".

Depuis l'avis de la CNPA, les soutiens à la décision du chef de l'État se font de plus en plus rares. Le 12 juillet dernier, le cabinet de la ministre de la Culture réaffirmait sa volonté de "disposer à l’automne d’un projet lauréat", afin qu'un prototype soit présenté au moment de la réouverture de la cathédrale, le 8 décembre 2024. Quatre jours plus tard, elle présentait sa démission. 
Le dossier finira donc par atterrir dans les mains du prochain ministre de la Culture qui choisira de poursuivre dans cette voie ou de suivre l'avis de la commission (précisément créée en 2016 pour conseiller le locataire de la rue de Valois en matière de patrimoine). 

Va-t-on rejouer la querelle des vitraux de Notre-Dame ?

D'autant qu'une médiation semble encore possible : les opposants à ce projet ne sont majoritairement pas opposés à l'installation de vitraux contemporains dans une autre partie la cathédrale de Notre-Dame de Paris, sans déplacer ceux imaginés par Viollet-le-Duc. 
C'est d'ailleurs ainsi que s'est conclue la dernière "querelle des vitraux" qui, pendant 30 ans (entre 1935-1965) a vu s'opposer défenseurs du patrimoine et projets d'artistes. Les six vitraux aujourd'hui concernés l'étaient déjà à l'époque. Le projet du peintre verrier Jacques Le Chevallier a finalement installé sur toutes les fenêtres hautes de la nef, du mur occidental du transept et des tribunes.
S'ils sont déplacés, il sera possible d'admirer une partie des vitraux de Viollet-le-Duc dans le futur musée de l'œuvre et les vitraux contemporains seront installés à l'horizon 2026.

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