Énorme coup dur hier, lundi 22 juin. Nokia a
annoncé la suppression d'un tiers de ses effectifs en France : 1.233 postes. Et
c'est la Recherche et Développement qui trinque le plus. Le plan d'hier, c'est
aussi l'échec d'une partie de notre stratégie de recherche télécom en France. Rendez-vous à Lannion, en Bretagne, épicentre de la
Phone Valley française.
Le Radôme, cette
énorme sphère domine encore la zone, près du centre de télécommunication par
satellite de Pleumeur-Bodou. Et finalement, quand on s'y promène, on visualise
ce qui est en train d'arriver à Nokia et aux télécoms en Europe.
Le Radôme est figé
dans sa gloire du passé, celle d'une époque où la recherche française dans les
télécoms permettait de conquérir la Lune. Seulement
voilà, le monde du téléphone va vite et il se fracture en deux blocs :
américain et chinois. L'Europe, elle, tâtonne
et finit par sortir du match sans avoir combattu. C'est le 4ème plan chez Nokia en 5 ans, et
on va une nouvelle fois changer de patron. Mais,
cette fois, 83% des suppressions de postes ont lieu dans la recherche, autrement
dit, on se passe des cerveaux.
La Recherche et
Développement, c'est le canard de l'économie, quand on lui coupe la tête,
l'entreprise continue à courir pendant quelques temps. Mais sans direction et
sans avenir. On découvre que le
monde d'après se préparait avant... C'est la malédiction Kodak.
Toute la recherche
télécom a raté le XXIème siècle mais Nokia en particulier. Souvenez-vous du Nokia 3310 qui faisait rêver tout
le monde, c'était avant les smartphones, avant la 5G, avant les nouveaux usages
et les réseaux sociaux. Nokia en France, ce
sont les anciens chercheurs d'Alcatel-Lucent, l'époque de Serge Tchuruk, quand
on rêvait d'une entreprise sans usines, donc sans salariés et finalement sans
recherche.
Et le problème ne
date pas d'hier. Il suffisait de regarder ce qui se passe à Lannion pour
comprendre. Dans cette petite ville, en 2007, Alcatel a commencé à réduire sa
recherche. Et bien, cette année-là, juste en face des locaux du groupe s'est
installé un fabricant chinois inconnu au bataillon : Huawei. Les ingénieurs
n'ont eu qu'à traverser la rue.
Ça va devenir très difficile d'avoir un acteur européen pour développer la 5G.
Martial You, mardi 23 juin 2020
Et aujourd'hui, au moment où va se développer
la 5G, Nokia n'est plus en mesure de combattre. C'est
ça qui est rageant et qui doit rendre fou les ingénieurs télécoms français qui
sont parmi les meilleurs au monde, les X-Télécom. C'est
aussi ce qui rend dingue Bercy qui va recevoir les syndicats.
On va déployer la 5G,
le gouvernement veut mettre des milliards pour être en pointe sur les
technologies du futur et l'intelligence artificielle. On aura besoin d'une
infrastructure télécom ultra-performante. On va nous parler de souveraineté
numérique... Seulement voilà, Nokia, l'un des deux acteurs européens avec
Ericsson, risque de mourir avant d'avoir combattu.
Ça va devenir très
difficile d'avoir un acteur européen pour développer la 5G. On milite pour qu'il y ait une préférence européenne
sur la 5G, mais Huawei a une longueur d'avance. Les
acteurs des télécoms comme Orange sont d'accord pour écarter le groupe
chinois. L'Amérique de Trump a aussi décidé de boycotter (par principe) Huawei
de la 5G.
Mais encore faut-il avoir une alternative ! Il
reste Ericsson en Europe. Et on murmure que
Nokia pourrait finalement être la proie d'une OPA d'un groupe américain. Vaut-il mieux être entre les mains des système
informatiques, des logiciels et des infrastructures américaines ou chinoises ? Ce qui est certain, c'est que lorsqu'on perd les
infrastructures, on perd la technologie et donc la souveraineté.
Restera à Lannion un
planétarium, une grosse bulle blanche et juste à côté un petit village gaulois
reconstitué. C'est un peu le résumé de notre stratégie télécom depuis 20 ans.