En 2002, j'avais 15 ans. Tout le monde s'était retrouvé devant l'école avant de faire le tour du village, et Jean avait sorti son accordéon : "Aucun slogan politique, c'était juste une marche joyeuse, avec de la musique, des casseroles. Il y avait des enfants, il y avait des gens de tous les âges. L'idée c'était juste de dire que le village n'était pas d'accord."
À l'époque, ce sont deux habitants et amis, Philippe et mon instituteur Dominique qui avaient eu l'idée de cette marche : "J'ai pleuré, on s'attendait pas à ça, c'est vraiment la sidération. On pense à nos enfants, on pense à notre pays, j'ai passé une mauvaise nuit. Et dans la voiture, j'ai entendu un auditeur dire 'Mais vous fait quoi ? Vous allez rester les bras ballants?' ça m'a trotté dans la tête. J'ai vu mon ami Dominique et ensemble, on s'est posé des questions et on s'est dit 'Et si on proposait de faire une marche, pas une manifestation, mais une marche joyeuse", se souvient Philippe. Et Dominique de poursuivre : "Comment faire pour prévenir les gens. On a fait des petits bouts de papier qu'on a distribués une bonne partie de la nuit dans les boîtes aux lettres. Et le lendemain, à notre grande surprise, on était au moins 150".
Aujourd'hui, le Rassemblement national représente quasiment un électeur sur quatre dans le village, et pourtant cette fois, il n'a pas eu de marche. Ici, il n'y a pas eu de basculement soudain, l'extrême droite a progressé, petit à petit, au fil des élections.
Alors comment l'expliquer ? Les chiffres ne nous aident pas beaucoup. Certes le chômage est assez haut, à 12%. Il n'y a plus qu'une cinquantaine d'enfants à l'école, tous répartis sur des groupes multiniveaux. La population vieillit, presque un quart a plus de 65 ans, Mais le village ne perd pas d'habitants, il en gagne, et le bourg reste vivant malgré le départ des commerces et du médecin, grâce notamment à la dizaine d'associations qui existent. Alors pourquoi ?
Je suis partie sur la piste des 62 électeurs qui ont voté RN ici pour leur demander directement. Sylvie nous accueille au moment du dessert, elle a été brodeuse en atelier, puis elle a travaillé en repassage en usine, un métier éreintant : "cela donne des varices, on a mal aux pouces, car on fait toujours le même mouvement pour faire venir la vapeur, on a de l'arthrose. La retraitée a commencé de travailler à 16 ans et demi, elle ne touche pourtant qu'entre 800 et 900 euros par mois : "On vote, même si notre voix s'élève, personne n'entend. On est tout seul dans notre petit coin, personne n'écoute ce que les gens ont à dire."
C'est donc plus pour ce sentiment d'abandon, pas pour une mesure en particulier, que Sylvie va voter Jordan Bardella, comme tous ceux chez qui j'ai toqué.
D'une ruelle à l'autre en fait, il y a deux France qui se parlent de moins en moins, mais qui se retrouvent en terrasse, au café du village, à Saint-Haon au moins, se console Philippe, le glissement vers le RN est plus lent qu'ailleurs : "On résiste, on est le petit village gaulois qui résiste !"
Le village reste effectivement une exception. Au bout du chemin par exemple, à Saint-Haon-le-Vieux, dans le bourg voisin, le RN a fait 40% aux dernières élections européennes.
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