Jacques Chirac et Edouard Balladur ont été amis, ou bien l’ont cru peut-être. En politique, on n’a jamais vraiment d’amis. Leur histoire commune commence dans la France du Général de Gaulle. Balladur a 5 ans de plus que Chirac. Il se tient à l’écart, dans l’ombre, pendant que l’autre attire sur lui la lumière, et gravit les échelons aussi vite qu’il le peut.
Sans pour autant se lier d’amitié, ils vont vivre les tumultes de Mai 68. Le pouvoir vacille, eux sont en plein dedans, les mains dans le cambouis, puis viendra l’épopée pompidolienne. Ministre, Chirac passe du Budget à l’Agriculture puis aux relations avec le Parlement et brièvement à l’Intérieur. Balladur lui, reste dans l’ombre. Il est Secrétaire général adjoint, puis Secrétaire général de l’Élysée. Chacun de leur côté, ils vont vivre la maladie du président, puis sa mort.
Puis pour Chirac viendra l’aventure giscardienne. Il ne lâche pas la politique. Balladur, lui, entre dans le privé. Ce sont les années mitterrandiennes qui vont voir se rapprocher les deux hommes. Chirac a besoin d’une tête pensante, ce sera Balladur. La cohabitation les rapproche. Jacques Chirac est à Matignon, pendant qu’Édouard Balladur gère les finances du pays.
Puis vient 1988 où Chirac perd face à Mitterrand, une fois de plus. À droite, on ne croit plus en lui, Balladur le premier. Il en est certain : Chirac n’y arrivera jamais. "La droite commence à douter de ses capacités à devenir le président de la République à l'approche de 1995", détaille Flavie Flament dans Jour J.
"Ce qui perd Jacques Chirac, c'est qu'alors que le bilan aurait dû être porté par François Mitterrand, c'est lui qui le porte en tant que Premier ministre. C'est ce qui fait que François Mitterrand va être réélu assez largement", analyse Jean Garrigues, président du Comité d'histoire parlementaire et politique, au micro de Jour J.
Mais, la vague RPR-UDF aux législatives de 1993 est de bon augure pour la droite, une nouvelle cohabitation se dessine. Chirac ne veut pas retenter l’expérience, il veut gagner en 1995 et pouvoir préparer sa campagne à plein temps. Balladur ira à Matignon, le costume de Premier ministre de François Mitterrand lui va comme un gant, l’opinion est favorable à son action.
Chirac avait pour habitude de téléphoner à Balladur. Mais plus les mois passent, et moins le Premier ministre lui répond. Le pouvoir ne se partage pas, Balladur l’a compris. Alain Juppé et Philippe Séguin, les fidèles de Jacques Chirac l’avaient prévenu depuis plusieurs années, il aurait dû se méfier de Balladur, il n’en a rien fait. Son "ami de trente ans" comme il le disait, ne pouvait pas le trahir. Mais, Balladur a pris goût au pouvoir, et rêve de l’Élysée. Les sondages l’indiquent, les Français le voient président.
Puis vient le moment fatidique, Chirac ne l’en croyait pas capable, pourtant c’est bien le cas. Balladur vient de se déclarer candidat à la présidentielle, le 18 janvier 1995, depuis son bureau de Matignon. Dès lors, les défections dans le camp Chirac vont se succéder : Sarkozy et Pasqua laissent Chirac au bord de la route, et rejoignent le favori : Balladur.
Esseulé dans son bureau de l’Hôtel de Ville, Jacques Chirac n’oubliera rien. Il fait campagne, difficilement, mais impose son style, son thème, celui de la fracture sociale. Avec cette dernière, "il se rapprochait du peuple. C'est lui qui avait compris que la France était en train de se fracturer, qu'il y avait des problèmes d'emplois, de chômage, etc.. Tandis qu'Édouard Balladur apparaissait comme le candidat de la bourgeoisie et ça c'était très habile et c'est comme ça que Chirac a reconquis tout le pays", raconte Jean Garrigues. "En fait, Chirac fait une campagne de gauche et c'est comme ça qu'il va gagner", souligne-t-il.
Bientôt les courbes s’inversent et dans les sondages, Chirac prend le dessus sur Balladur. Au soir du premier tour, Balladur est balayé, et n’a d’autre choix que de s’incliner, et d’appeler à voter pour celui qu’il a trahi. Chirac affronte Jospin et succède à Mitterrand. Le 7 mai 1995, Chirac est élu président après une traversée du désert.
Alors que nous nous rendons aux urnes ce 10 avril pour le premier tour de la présidentielle 2022, nous avons décidé de revenir toute cette semaine sur les grands évènements qui ont marqué les présidentielles de la Vème République.
Tous les jours dans Jour J, de 20h à 21h sur RTL, Flavie Flament vous fait découvrir les grands moments d’actualité qui ont marqué la mémoire collective.