Le complément d’expertise médicale, confié par les juges en charge du dossier Traoré à un quatuor de spécialistes belges, était attendu depuis le 15 février dernier. Avec neuf mois de retard, les experts maintiennent leurs conclusions rendues dès février 2021 et qui attribuaient la mort d’Adama Traoré à un "coup de chaleur à l’exercice" lors de la course poursuite avec les gendarmes, "aggravé" par les manœuvres de contrainte exercées lors de l’interpellation et "dans une moindre mesure" les antécédents médicaux du jeune homme.
Les experts estiment même que les auditions supplémentaires de témoins - qui leur ont été transmises et qui décrivent notamment des difficultés respiratoires d’Adama Traoré en amont de l’interpellation - "renforcent leur conviction" quant aux "mécanismes psychopathologiques" ayant mené au décès.
Les experts belges estiment, en revanche, que les documents médicaux concernant un arrêt de travail d’Adama Traoré deux ans avant son décès, et qui avaient justifié le complément d’expertise, ne changent rien à leurs conclusions.
Après six années de bataille judiciaire entre les proches d’Adama Traoré et les trois gendarmes mis en cause, la dixième expertise médicale versée au dossier confirme donc que le jeune homme s’est d’abord trouvé en grande difficulté respiratoire du fait d’une course poursuite à un rythme intense alors que le thermomètre affichait 36,7 degrés. Le mode d’interpellation, avec notamment un appui momentané des genoux d’un gendarme sur le jeune homme au sol alors qu’il avait déjà du mal à respirer, a joué un rôle aggravant dans l’asphyxie qui a conduit à son décès. Ils citent aussi, dans une moindre mesure, un antécédent médical d’Adama Traoré, une sarcoïdose, maladie inflammatoire des poumons. Dans leurs conclusions initiales, les médecins belges précisaient que "cette évolution n’aurait probablement pas eu lieu sans ces facteurs aggravants", ce qu'ils maintiennent aujourd'hui.
Une nouvelle fois pourtant, l’expertise notifiée le 8 novembre est interprétée de façon radicalement différente par les deux parties. Pour l’avocat des trois gendarmes, Rodolphe Bosselut, "les experts confirment que la cause principale du décès est liée à un effort intense lors de la course-poursuite et que l’asphyxie était déjà engagée avant l’interpellation". Pour l’avocat, "cela dédouane à nouveau mes clients qui, je le rappelle, sont témoins assistés du seul chef de non-assistance à personne en danger".
À l’exact opposé, pour Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille Traoré, "sans l’interpellation violente des gendarmes Adama Traoré ne serait pas mort. Autrement dit, les gendarmes ont causé la mort d’Adama Traoré." Pour Yassine Bouzrou, "une mise en examen et le renvoi devant une juridiction" s’imposent.
La balle est désormais dans le camp de la juge d’instruction en charge du dossier. À charge pour elle de décider si elle maintient les gendarmes sous le statut intermédiaire de témoins assistés avant de boucler son dossier ou si elle procède à des mises en examen. Ce sera ensuite au parquet de Paris de rendre ses réquisitions avant l’ordonnance finale de la juge non-lieu ou renvoi d’un ou plusieurs gendarmes devant une juridiction. Une décision qui sera elle-même susceptible d’appel. L’épilogue de l’affaire Traoré n’est donc pas attendu avant encore plusieurs mois.