"J'ai beaucoup entendu parler de l'islam durant ce procès mais cet islam-là, je ne le connais pas", a lancé Ahlem Legouad à la barre. Elle est la soeur de Mohamed Legouad, assassiné par Mohamed Merah le 15 mars 2012. Le 25 octobre 2017, comme de nombreux membres des familles des victimes, elle est venue parler de son frère devant la cour d'assises spéciale dans le procès d'Abdelkader Merah et Fettah Malki.
Pendant cinq semaines, du 2 octobre au 2 novembre 2017, il aura beaucoup été question de l'engagement religieux de l'accusé, frère du "tueur au scooter". Même si une journée entière a été consacrée aux questions concernant sa radicalité, le sujet aura été abordé à plusieurs reprises et des termes techniques ont souvent été prononcés. Les personnes présentes, avocats, magistrats, parties civiles et journalistes, ont découvert des préceptes stricts à suivre dans l'islam radical qui se distinguent de la pratique courante de cette religion en France.
"C'est la première fois dans ce procès que j'entends le terme 'taqîya'", a déclaré l'autre sœur de la victime, Radjia Legouad, petite-fille d'imam. Cette expression a été largement utilisée par toutes les parties dans leurs prises de parole. Il s'agit de l'acte de dissimulation de la foi en vue de la préparation d'un attentat ou d'une action terroriste pour disparaître des radars des services de renseignements.
Une attitude adoptée par Mohamed Merah avant mars 2012, conduisant les autorités à estimer qu'il ne présentait pas de dangerosité au niveau terroriste à son retour de zones de combats. Son dossier n'a pas été judiciarisé. Il s'en est vanté lors des négociations : "Ce n’est pas l’argent le nerf de la guerre, c’est la ruse !"
Cela se traduit dans les faits par une barbe rasée de près ou laissée poussée quelques jours, la montre portée au poignet gauche, des vêtements dits "occidentaux" (ne pas porter le qamis), voire aller en boîte, boire de l'alcool... Aucun des terroristes qui a frappé la France le soir du 13 novembre ne portait de barbe longue.
Dans les documents du disque dur d'Abdelkader Merah, qu'il a pris soin d'effacer, les enquêteurs on retrouvé un testament. Interrogé sur cet élément, l'accusé - condamné pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste à 20 ans de réclusion criminelle - répond : "On en fait tous un ! Tout musulman doit avoir fait son testament". C'est un document récurrent chez les jihadistes de ces dernières années. À commencer par le premier d'entre eux : Mohamed Merah. Lui, son testament, il l'a fait à l'oral en motivant ses actions lors des négociations avec le RAID et la DCRI.
Salah Abdeslam avait aussi signé des lettres "testament" adressées à sa famille. Entre justifications et excuses, le seul survivant des attentats du 13 novembre revient sur cette nuit ensanglantée dans un français approximatif : "Je t'écris cette lettre en espérant que tu me pardonnera. Je t'ai quitter sachant que mon depart et mon absence sera pour toi une source de chagrin (...) Ton phis Brahim ne s'est pas suicidé, il a combattu, il a tué et s'es fait tué par les koffar, il est un héros de l'islam".
Après les attentats à Bruxelles, un testament audio a également été trouvé dans l'ordinateur d’Ibrahim El Bakraoui, kamikaze de l’aéroport. Sur Internet, on trouve des modèles tout faits de lettres testamentaires pour les musulmans.
"Le jihad, c'est le 6e pilier de l'islam". À ces mots, les regards étonnés et incertains s'échangent dans la salle Voltaire. "Il (Abdelkader Merah, ndlr) a bien dit 6 ?", entend-on dans les rangs des journalistes. "Dans ce procès, j'ai découvert un sixième pilier de l'islam", a ensuite réagi Radjia Legouad. Abdelkader Merah s'explique : il différencie les piliers de l'islam et ceux de la foi islamique.
Il y a bien 5 piliers de l'islam (l'attestation de la foi de l'unicité de Dieu, les 5 prières quotidiennes, l'aumône aux pauvres, le ramadan et le pèlerinage à la Mecque) et 6 piliers de la foi islamique (croire en Dieu, croire en ses anges, croire les livres, croire aux prophètes, croire au jugement dernier, et croire au destin, qu'il soit bon ou mauvais), confirme Romain Caillet, co-auteur du Combat vous a été prescrit : une histoire du jihad en France.
"Le jihad n'est pas l'un des six piliers de la foi islamique mais il y a un débat. Certains disent que s'il devait y avoir un 6e pilier parmi les 5 piliers de l'islam, ce serait le jihad, mais ce n'est pas le cas", explique l'historien de formation à RTL.fr. La distinction entre les piliers de l'islam et de la foi islamique est toutefois bien réelle. Pour Abdelkader Merah, "aucun musulman ne peut nier que le jihad existe. La personne qui dit que dans l'islam, il n'y a pas de jihad, c'est un menteur ou un ignorant".
Avec Abdelkader Merah, ont aussi été abordés des sujets tels que la loi du talion, la démocratie vue comme une religion ou encore le terme de sachant.