22 septembre 2017. Comme chaque jour, Christophe récupère sa compagne, Ghylaine, à la sortie de son travail. Dans la voiture, leur fille de sept ans, Cloé, attend impatiemment de rentrer jouer dans leur appartement du Plessis-Robinson, en banlieue parisienne. En arrivant au domicile familial, ses parents lui demandent d'aller mettre son pyjama. Alors qu'elle est dans sa chambre, les cris fusent dans le salon. Ses parents se disputent… Ce n'est pas la première fois.
Lorsque la petite fille fait son retour dans la pièce principale, Christophe, son père, saisit une bouteille d'essence avant de la verser sur Ghylaine. L'homme se munit d'un briquet et l'allume. En direct, Cloé assiste à l'horreur. Le feu se propage. La fillette hurle au secours. Les voisins, alertés par les flammes et la fumée, parviennent à mettre Cloé à l'abri. Ghylaine, brûlée à 92% est entre la vie et la mort. Le lendemain, à l'hôpital, la jeune femme décède. Pour sa famille, c'est le choc : jamais ses proches ne s'étaient doutés de la violence qui couvait chez Christophe.
"Ghylaine a pu m'envoyer quelques signaux que je n'ai pas du tout su interpréter. Parce que quand elle me disait, par exemple, qu'il voulait qu'elle fasse le ménage de droite à gauche et non de gauche à droite, quand elle me disait qu'il allait la chercher tous les soirs à son travail, quand elle me disait qu'elle avait peur de s'habiller de telle ou telle façon (…) Je me suis dit 'oh, elle exagère', parce qu'elle a toujours été traitée un peu comme une princesse et je pensais vraiment qu'elle exagérait. Alors que maintenant, je sais que non", confie Sandrine Bouchait, la sœur de Ghylaine, dans Les Voix du Crime.
Je veux faire en sorte que ma sœur ne soit pas morte pour rien
Sandrine Bouchait
En 2017, la France compte 143 féminicides. Ghylaine est la 96ème. À partir du jour de la mort de sa sœur, Sandrine, s'est fait une promesse : "Je veux faire en sorte que ma sœur ne soit pas morte pour rien et que toutes ces femmes ne soient pas mortes pour rien, d'en faire quelque chose, de partager mon expérience et soulager du mieux que je peux les familles à qui ça va arriver."
Deux ans plus tard, en septembre 2019, le gouvernement annonce un Grenelle des violences conjugales. À ce moment, Christophe est dans l'attente de son procès pour le meurtre de sa compagne. Pour Sandrine, ce Grenelle est l'occasion de parler de la douleur des proches et des familles. Pourtant, cette dernière va vite déchanter.
"On est contents, on est très contents, nous les familles. On se dit, enfin, on va nous entendre (…) Édouard Philippe me propose de venir témoigner avant le discours du Premier ministre. Donc j'accepte et j'explique tout ce parcours du combattant que traversent les familles. Ensuite, il y a les premières mesures qui sont annoncées. Et là, on est extrêmement déçu parce qu'il n'y a aucune mesure pour les familles."
Un mois plus tard, face à l'inaction du gouvernement, Sandrine créée l'UNFF, l'Union Nationale des Familles de Féminicides. "On a organisé, avant l'ouverture du Grenelle, le 3 septembre, une marche des familles. Là, on s'est rencontré pour la première fois en vrai. On a pu échanger pour de vrai. Et, c'est pendant cette marche, que l'on s'est dit, plutôt que d'être des petites voix un peu éparpillées partout, et si on créait une association ?", se souvient-elle.
Quel que soit le nombre d'années qu'il va rester en prison, ma sœur ne reviendra jamais
Sandrine Bouchait
À l'issue de son procès, Christophe est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Une victoire amère pour Sandrine : "Ghylaine est une victime, c'est important d'entendre ça. Après, moi la condamnation, ce n'était pas le principal pour moi. Parce que, quel que soit le nombre d'années qu'il va rester en prison, ma sœur ne reviendra jamais."
Si Sandrine se bat pour les victimes de violences conjugales et pour la prise en charge de leurs familles, le constat reste alarmant et le chemin est encore long : depuis le début de l'année 2023, 24 femmes ont été victimes d'un féminicide selon le décompte élargi du collectif #NousToutes.
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