Quarante ans plus tard, Claudine Cordani se souvient parfaitement de la scène : elle vient d'annoncer au juge d'instruction qu'elle refuse que le procès de ses violeurs se déroulent à huis-clos. "Je lui dis non, moi je veux qu'on ouvre les portes (…) Il croise les mains, et regarde l'air interloqué et en même temps intéressé. Et me dit 'tiens, pourquoi?' Alors je lui dis 'parce que ce n'est pas à moi d'avoir honte, je veux que tout le monde sache et je veux que la société le sache", rapporte-t-elle.
Le procès à huis-clos est d'usage lorsqu'une victime est mineure : c'est à dire que les audiences se déroulent à portes fermées, refusant alors la presse et le public. Dans le cas contraire, "ça veut dire qu'on est prêt à ce que ça paraisse dans les journaux, qu'on est prêt aussi à donner des interviews. Donc moi, j'étais prête", poursuit Claudine, qui devient alors la première mineure à s'opposer au huis-clos en France, dans Les Voix du Crime.
Lorsqu'elle prend cette décision en 1984, Claudine n'a que 17 ans et malgré son jeune âge, a déjà vécu le pire. Quelques mois auparavant, alors qu'elle s'apprête à rejoindre ses amis et son petit-ami de l'époque, l'adolescente est violée par trois hommes près du canal de l'Ourcq à Paris. Elle est ensuite séquestrée et violée à nouveau dans un appartement du nord parisien. Claudine parvient à s'enfuir avec l'aide de deux autres hommes et porte plainte. "Ils m'ont donné tous les éléments pour que la police puisse retrouver mes agresseurs très rapidement et c'est ce qui a été le cas."
Ce n'est pas à moi d'avoir honte
Claudine Cordani
Mais refuser un huis-clos implique des démarches spécifiques : "Il fallait pour que je puisse moi refuser le huis clos une personne ayant autorité à l'époque, explique-t-elle, donc c'était mes parents qui devaient signer." Pour autant, Claudine est bien déterminée à révéler cette affaire au grand jour. Aidée par le juge d’instruction, l’adolescente parvient à faire signer le document à son frère aîné.
"Je voulais que tout le monde puisse assister au procès qui s'est tenu pendant trois jours", confie Claudine Cordani. Néanmoins, l’adolescente refuse que ses frères et sœurs y assistent et choisit de ne pas informer ses parents ni sur le faits ni sur le procès. "Je ne voulais pas qu'ils aient de peine", confie-t-elle aujourd'hui. Pour ne pas se faire reconnaître par sa famille dans la médiatisation du procès, la jeune femme change son identité et se présente alors sous le prénom de Caroline.
Je voulais que tout le monde puisse assister au procès
Claudine Cordani
En 1985, les deux principaux agresseurs de Claudine sont condamnés à des peines de dix à douze ans de prison ferme. Si l’issue du procès est un soulagement pour elle, son traumatisme, lui, est indélébile. "Je ne voulais plus sortir de chez moi pendant des mois", et d'ajouter "à cause de ce viol, je n'ai pas passé mon bac."
Aujourd'hui journaliste, Claudine a écrit son histoire dans un livre La Justice dans la Peau en 2020. Si elle est parvenue à se reconstruire malgré le traumatisme, les questions tourbillonnent toujours dans son esprit. "Est ce que les gens m'ont comprise ? Parfois, je me demande si j'aurais du en parler davantage. Je ne sais pas. En tout cas, j'en parle aujourd'hui. Il n'est jamais trop tard."
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