37 ans de mystères, de silences officiels et de mensonges. Le 6 août 1985, l'aventurier et casse-cou Philippe de Dieuleveult disparaissait avec six de ses coéquipiers dans les eaux démontées du fleuve Zaïre. Il aurait péri noyé en raison de sa témérité ou de son inconscience.
C'est la thèse que vont asséner les autorités françaises et zaïroises mais la famille va douter de ce scénario trop bien ficelé. Elle va même poser des questions et s'insurger. Mais, devant elle, toutes les portes vont se fermer. Le neveu de l'ancien animateur à succès de l'émission La Chasse au Trésor bouleverse aujourd'hui le dossier.
Alexis de Dieuleveult n'a jamais cru à la vérité
officielle. Il a pu avoir accès au dossier d'enquête, jamais consulté jusque-là car classé secret-défense. Les auditions qu'il recèle et certains procès-verbaux donnent le tournis et une autre lecture de la tragédie. Dans son ouvrage Noyade d'État : La mort de Philippe de Dieuleveult, Alexis de Dieuleveult dresse l'hypothèse de la bavure militaire.
L'ancien ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, a été longtemps partisan de la thèse d'un tragique accident. Mais, quarante ans après le drame, il confie un tout autre éclairage. Alexis de Dieuleveult l'a rencontré en 2021. "Il est possible que ce soit eux qui aient tué l'équipe", confie l'ancien ministre en admettant qu'il était impossible à l'époque de ternir la réputation de l'armée zaïroise. Suite à sa rencontre avec Alexis de Dieuleveult, Roland Dumas a demandé au président de la République française de se pencher sur cette affaire pour apporter une suite et une fin.
Les faits se déroulent le mardi 6 août 1985, aux alentours de 8h45. Philippe de Dieuleveult, enfile son gilet de sauvetage sur son inséparable pullover noir et s'apprête à mettre à l'eau le “Françoise”, un énorme canot pneumatique équipé d'un puissant moteur. Détendu et souriant, le chef de l'expédition “Africa Raft” donne le top départ de la dernière étape d'un raid fluvial démarré à 2.500 kilomètres de là, sur le lac Tanganika.
Il s'agit de dévaler les monstrueux rapides d'Inga, sur le fleuve Zaïre. Le débit est infernal. Certaines vagues, les vagues portefeuilles comme on les appelle, peuvent atteindre dix à quinze mètres. Elles sont aussi hautes qu'un petit immeuble. Le bruit est assourdissant. Deux coéquipiers, Angelini et Blockmans, embarquent avec Dieuleveult.
Quatre autres hommes, Jeannelle, Bastos, Hérault et Collette,
font de même à bord d'un deuxième raft, le "Godelieve". Aussitôt mises à l'eau
depuis la plage caillouteuse de l'île aux Hippopotames, les embarcations,
équipées de caméras arrimées sur un mât, filent vers l'aval comme s'il
s'agissait de fétus de paille.
Deux membres de l'expédition restés à terre,
le docteur François Laurenceau, ami d'enfance de Philippe de Dieuleveult, et
Jean-Louis Amblard voient les rafts s'effacer dans un voile d'écume. Dans
l'heure qui suit, ils vont attendre en vain des nouvelles de leurs
compagnons. La radio VHF embarquée sur les rafts reste obstinément muette.
François Laurenceau et Jean-Louis Amblard, patientent
sur l'île aux Hippopotames. Puis ils décident de regagner la rive pour se rendre
au barrage d'Inga. Ouvrage hydraulique gigantesque, moderne et bien
gardé. Ils parviennent à un village vers 14h. Deux militaires zaïrois
viennent aussitôt à leur rencontre. Ils sont "nerveux mais pas agressifs", selon la description de Jean-Louis Amblard dix ans plus tard dans un procès-verbal établi par la brigade
criminelle de Paris.
Jean-Louis Amblard cite
l'un des deux soldats qui s'exclame sans qu'on ne lui ai rien demandé : "s'il
est arrivé quelque chose à vos amis, ce n'est pas de notre faute". Les
deux Français demandent que des recherches soient lancées mais on préfère les
interroger. "J'ai compris qu'ils voulaient gagner du temps, j'ai
compris aussi que les militaires qui gardaient le barrage n'avaient pas été
avisés de notre passage", explique-t-il.
François Laurenceau et Jean-Louis Amblard, coupés du monde,
sont retenus plusieurs jours dans un hôtel de la petite ville de
Matadi. Jusqu'à ce que la nouvelle de la disparition parvienne enfin à l'armée
française. Une équipe de parachutistes basée à Kinshasa accède ainsi au
site. L'adjudant-chef Ramos, entendu par la Crim, dit s'être heurté à la
mauvaise volonté de l'armée zaïroise.
Le colonel de Monmahou confie à son supérieur son sentiment :"je crois qu'ils nous les ont tués, mon
colonel". François Laurenceau et Jean-Louis Amblard, enfin
autorisés à se rendre au barrage d'Inga, y recueillent le témoignage d'un
ingénieur local. Ce dernier indique avoir vu le 6 août, jour de la
disparition, trois hommes blancs dont l'un portant un pull noir,
s'affairant autour d'un bateau échoué.
Le "Françoise" a effectivement été
retrouvé quasiment intact, seule la caméra vidéo a été arrachée. ”Ces trois
personnes correspondent pour moi à Philippe de Dieuleveult, Lucien Blockmans et
Angelo Angelini”, déclare sur PV le docteur Laurenceau. L'armée
zaïroise demande alors aux Français de signer une décharge selon laquelle ils n'ont pas entendu le moindre coup de feu ce 6 août.
L'idée d'une bavure - des
tirs sur des hommes soupçonnés d’attaquer le barrage - prend forme mais ne va
pas prospérer. Côté des autorités françaises, le consul local demande de
"faire le silence radio sur cette affaire".
- Alexis de Dieuleveult, auteur de Noyade d'État : La mort de Philippe de Dieuleveult.