"On va t'interroger comme pendant la guerre d'Algérie". C'est la phrase entendue par les parents de Malika Yezid lorsque les gendarmes entrent dans leur appartement le 24 juin 1973 pour "faire parler" leur fille de 8 ans. L'un d'eux l'entraîne dans une chambre et s'enferme avec l'enfant. Quelques minutes plus tard, Malika sort, visiblement traumatisée. Elle est transportée à l'hôpital dans le coma et décède quelques jours plus tard.
Que s'est-il passé dans le huis clos de cet appartement d'un bâtiment de la cité des Groux à Fresnes (Val-de-Marne) ? Les gendarmes assurent que c'est le père de Malika lui-même qui a frappé la petite fille, eux souhaitaient simplement l'interroger sur son frère, suspecté d'un vol de mobylette. En 1976 est prononcé un non-lieu dans cette affaire, et personne ne sera jamais poursuivi pour la mort de l'enfant.
Cinquante ans plus tard, la nièce de Malika, Jennifer a décidé de tout raconter. De sa grand-mère, la mère de Malika, elle a hérité de huit valises (une pour chacun de ses enfants). Celle de sa tante est remplie de documents qu'elle découvre à 18 ans. "Des lettres, des photos, des dessins, des doudous, des chouchous, ses boucles d'oreilles... Et en fait, j'ai une frayeur quand j'ouvre la valise et que je vois un article de presse avec la photo de ma tante. Je hurle de peur", explique-t-elle dans Les Voix du crime.
À l'époque, la mort de Malika est médiatisée, comme en témoigne par exemple cet article du Monde sur les obsèques de la petite fille. Ses parents décident de porter plainte contre les gendarmes impliqués dans l'opération et tout le quartier se mobilise en leur faveur. "Il y a une cagnotte, il y a un soutien pour la famille. Il y a une grande manifestation, énormément de solidarité", rapporte Jennifer Yezid, qui a écrit L'Affaire Malika. Généalogie d'un crime policier (Hors d'Atteinte, 2023).
Pourtant, peu à peu, l'histoire de Malika va s'effacer. En août 1973, un fait-divers marseillais vient bouleverser l'été : un chauffeur de bus est tué par un Algérien. Ce dernier est connu pour des troubles psychiatriques, mais l'extrême-droite s'en saisit comme opportunité pour asseoir son agenda xénophobe et anti-immigration.
Une prise de position publique qui déclenche une vague d'agressions et de meurtres racistes. Interrogé par RTL dans la foulée, l'ambassadeur algérien en France évoque trois victimes d'agression en 24 heures. Au total, la sociologue Rachida Brahim, autrice de la post-face du livre de Jennifer Yezid dénombre 17 assassinats racistes à Marseille en 1973.
Les violences racistes de 1973 culminent le 14 décembre : ce jour-là une bombe explose dans le consulat d'Algérie à Marseille. Le bilan total compte 4 personnes mortes et 28 personnes blessées. L'attentat est revendiqué par une organisation d'extrême-droite, le Club Charles Martel mais les auteurs n'ont jamais été identifiés.
Cinquante ans après, Jennifer Yezid estime que "rien n'a changé" en citant la mort de Nahel, 17 ans, survenue en juin 2023. "Il y a des centaines et des centaines de victimes de crimes policiers, de violences policières", ajoute-t-elle. Chaque fois, qu'elle apprend une nouvelle affaire de ce type, elle est "touchée" dit-elle et pense à sa tante qu'elle n'a jamais connue.
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