Affaire Francis Evrard : l’avocat d’Enis, une de ses victimes, revient sur ce dossier "hors normes"

Roubaix, 15 août 2007. Enis, 5 ans disparaît soudainement lors d'une braderie. Malgré la mobilisation du quartier pour le chercher, l'enfant demeure introuvable. Plus inquiétant encore : une personne témoigne l'avoir vu partir avec un homme, main dans la main. La même journée, le dispositif Alerte enlèvement est déclenché pour la première fois. L'enfant est retrouvé quelques heures plus tard, mais les séquelles sont lourdes. Le petit garçon a été drogué puis violé. Derrière le rapt se trouve Francis Evrard, un pédocriminel multirécidiviste.

"Je sais que nous avons un personnage très particulier qui a été arrêté et qui va se retrouver placé en garde à vue et mis en examen dans la foulée, se souvient Me Emmanuel Riglaire, l'avocat d'Enis et de sa famille, dans Les Voix du crime. Nous avons un dossier hors norme puisque c'est un homme qui sort de détention. Et nous savons effectivement qu'il va falloir véritablement protéger toute cette famille pour qu'elle essaie de retrouver un semblant de vie à la suite de cela". Pour l'avocat, la tâche est complexe : il faut rassurer et expliquer au petit Enis et à sa famille la machine judiciaire vient de s'enclencher.

L'affaire, très médiatisée, scandalise : Francis Evrard est bien connu des services pour des crimes similaires. "Il a récidivé neuf fois. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y avait que neuf victimes. Ça veut dire qu'il y avait parfois, dans les dossiers qui ont été jugés, plusieurs victimes", précise l'avocat. Lorsqu'il enlève Enis, ce pédocriminel vient de sortir de prison depuis seulement six semaines. Une question taraude : comment cet homme a-t-il pu sortir de détention ?

Nous avons un dossier hors norme puisque c'est un homme qui sort de détention

Me Emmanuel Riglaire

Dans cette affaire, les rebondissements sont nombreux. "On découvre qu'il a été condamné pour détention d'images pédophiles en prison. Il y a un marché noir de clé USB à l'intérieur des prisons. On découvre également qu'il est sorti avec une prescription de Viagra qui lui a été prescrite par le médecin de la maison d'arrêt. Donc on se dit qu'on marche complètement sur la tête", déplore Me Emmanuel Riglaire. 

L'affaire devient médiatique et politique. À ce moment, Nicolas Sarkozy vient d'être élu Président, et va jusqu'à recevoir le père d'Enis à l'Élysée. "On a véritablement une débauche de moyens qui est mise en place pour récupérer cette affaire avec des arrières pensées, bien évidemment", poursuit-il.

Face à ces dysfonctionnements, le Premier ministre promulgue en 2008 une loi sur la rétention de sûreté, afin de "réexaminer la dangerosité potentielle" des criminels et "prévoir que des personnes dont on ne serait pas sûrs de la capacité à se réintégrer puissent être encore retenues, donc enfermées", explique l'avocat. Malgré l'initiative, la loi ne sera jamais réellement appliquée. 

On découvre qu'il a été condamné pour détention d'images pédophiles en prison

Me Emmanuel Riglaire

Les évènements s'enchaînent et en octobre 2009, le procès de Francis Evrard défraie la chronique. De nouveau, Me Emmanuel Riglaire doit rassurer la famille sur l'ampleur que ces audiences s'apprêtent à prendre. "Il faut que je les prépare à cette nuée de journalistes puisque je crois qu'on avait eu 300 accréditations (…) Il y avait un mur de journalistes à chaque fois que nous faisions un mètre dans la salle", se remémore-t-il. 

Lors du procès, Francis Evrard coopère. "Il ne conteste rien, il ne nie rien. Il permet à ce procès de se passer en bonne intelligence. Qu'il n'y ait pas de tension non plus entre la défense et les parties civiles." Après une semaine d'audiences, la Cour d'assises du Nord condamne Francis Evrard à 30 ans de réclusion criminelle avec 20 ans de sûreté.

Devant ce verdict, Me Emmanuel Riglaire ne veut pas s'arrêter là et décide d'engager la responsabilité de l'État et de le poursuivre pour ses manquements dans le suivi du pédocriminel. Mais pour le père d'Enis, c'est l'épreuve de trop. "J'ai perdu le lien et le contact avec le papa d'Enis, qui a rencontré de nombreuses difficultés personnelles. Je pensais qu'il serait fort sur la durée et au contraire, cet homme est véritablement tombé dans une profonde dépression", raconte l'avocat. Aujourd'hui, Francis Evrard, 77 ans, purge toujours sa peine. Il devra attendre ses 92 ans, avant d'être libérable. 

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