Guerre en Ukraine : quels enseignements en tire l’armée française ?

Quels sont les enseignements de la guerre en Ukraine pour l’armée française ? C’est un observatoire très confidentiel, celui qui étudie le conflit au jour le jour, qui livre ses premiers enseignements. Comment fait-on la guerre en 2022 ? Comment nos militaires doivent s’adapter ? Plusieurs membres de cette cellule ont répondu à RTL.

La première piste, détaillée par le général de division Pierre-Joseph Givre, qui dirige le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre française (CDEC), est d’équiper différemment nos soldats. Constat qu’il fait à la lumière de la guerre Ukraine. "On peut imaginer doublement doter le soldat français", explique-t-il. "Bien sûr, il a un fusil d’assaut. On pourrait aussi lui donner un terminal téléphonique, sécurisé, avec de nombreuses applications".

Ces applications permettent une communication cryptée entre le soldat qui est au feu et son commandement à l’arrière. Communication via des messageries civiles (Telegram, Signal…), le soldat aurait accès aussi à des applications directement opérationnelles militairement.

Plus d'agilité sur le terrain

"Si le soldat est au contact de l’ennemi", poursuit le général Givre, "il pourrait par exemple prendre la photo d’un objectif, cette photo étant géolocalisée. Et ensuite, il pourrait la transmettre immédiatement vers un effecteur, par exemple, une pièce d’artillerie, qui ayant les coordonnées pourrait tirer quasi-immédiatement. (...) C’est ce qu’ont fait à plusieurs reprises les Ukrainiens sur des objectifs russes".

Le soldat qui est au contact prend une photo, le canon, positionné quelques kilomètres derrière, tire instantanément sur la cible. Cette agilité, cette rapidité dans la prise de décision, est l’effet recherché aujourd’hui par l’armée française. Puisque c'est-ce qui fonctionne aujourd’hui sur le champ de bataille en Ukraine.

Une doctrine évolutive

Cette évolution du matériel implique de faire évoluer aussi la doctrine militaire. Cela repose sur l’initiative du soldat. Lui donner toujours davantage d’initiative, c’est ce que fait l'armée ukrainienne. 

"Il faut qu’on décline jusqu’au plus bas niveau (...), auprès de chaque soldat, cette capacité à capter de l’information et de la donner", précise Pierre-Joseph Givre. "La seule manière de gagner l’initiative dans ce type de combats, avec de forts volumes de forces, avec un déluge de feu, c’est d’accélérer les boucles de décisions entre ceux qui captent les informations et ceux qui vont déclencher les feux", assure-t-il. 

C’est donc une alliance de moyens modernes de communication et des moyens traditionnels de la guerre, comme l’artillerie. Car, sur un tel front, comme en Ukraine (près de 900km), c’est bien une guerre traditionnelle qui se joue : canons, mouvements de troupes.... 

Un modèle ukrainien ?

Faire la guerre en 2022, c'est renforcer ses moyens traditionnels, estime-t-on dans l’armée. Mais elle reste très discrète sur la question de ses moyens : modernisation des chars Leclerc ? Acquisition de plus de drones ? Augmentation des stocks de munitions (au regard des milliers d’obus qui sont lâchés chaque jour dans les plaines et sur les villes du Donbass) ? Les arbitrages seront - in fine - politiques.

L’armée tire des conséquences de ce que fait aussi la population ukrainienne. Comment tout un pays peut être associé à la guerre sur le modèle de la cohésion de la population ukrainienne ? C’est la question régulièrement évoquée dans l’armée des forces morales.

Le modèle est pris de l’application ukrainienne Diia, créée par le gouvernement ukrainien. Au départ destinée à y déposer des papiers d’identité, devenue l’équivalent ukrainien des "voisins vigilants" (un citoyen y signale un problème pour alerter la police). Les Ukrainiens s’en sont massivement servis pour indiquer à leur armée où se cachaient des Russes, un déplacement de véhicule blindé à tel endroit, un camion dissimulé dans tel bâtiment. 

Des renseignements civils capitaux

Cela a été décisif notamment lors de la bataille de Kiev, estime le colonel Frédéric Jordan, responsable de l’observatoire Ukraine mis en place par l’armée de terre. "Quand vous savez où est l’ennemi, quand on vous transmet par cette application la position exacte, géolocalisée, d’un convoi qui passe sous les fenêtres d’un citoyen ukrainien, 'le brouillard de la guerre", comme l’écrit Clausewitz, se dissipe. Et ils peuvent concentrer leurs efforts, par exemple les feux d’artillerie, sur ces forces qui ont été détectées".  

Cette application Diia permet ainsi à l’armée ukrainienne de positionner au bon endroit – grâce aux citoyens – les missiles, les soldats, les canons. Des postes de commandement russes ont été ainsi été touchés. C’est une forme de renseignement, à l’origine notamment de la mort de nombreux généraux de Vladimir Poutine.