ÉDITO - Simplifier la feuille de paie sans rationnaliser la législation est voué à l'échec, estime François Lenglet

Un salarié français qui tente de comprendre sa fiche de paye, c’est un peu Champollion décryptant les hiéroglyphes de l’Égypte ancienne sur la Pierre de Rosette. Ce document familier pour beaucoup d’entre nous ne cesse de se complexifier. Sur mon dernier bulletin de salaire, en mars dernier, il n‘y avait pas moins de 46 lignes. Du coup, j’ai été fouiller dans mes archives, j’ai retrouvé mon premier bulletin de salaire, en juillet 1976, ouvrier dans une usine de l’agro-alimentaire : 11 lignes seulement. Ca fait presque une ligne de plus chaque année.
 
Et c’est une exception française. Il y a dix ans, le DHR d’un groupe industriel européen, Jean-Christophe Sciberras, avait fait une comparaison entre les différentes filiales de l’entreprise. France, 40 lignes. Allemagne et Espagne, 15. États-Unis, 14. Japon, 11 lignes seulement. Vous voyez qu’on détient le record. Pire, il y a déjà eu 5 tentatives successives pour simplifier notre feuille de paie, et malgré ces assauts, la complexité repousse comme du chiendent. Le dernier assaut date de François Hollande, il y a dix ans. 
 
Mais qu’est-ce qui explique cette résistance ? Il y a d’abord la complexité du système fiscal français. Prenez la CSG par exemple. Il y a une part qui est déductible, et une part qui ne l’est pas, autrement dit la somme que nous payons reste soumise à l’impôt sur le revenu – un impôt sur un impôt, il n’y a qu’en France. Et voilà deux lignes différentes pour un même prélèvement. Vous ajoutez le RDS, qui a la même assiette, et qui sert à rembourser la dette sociale, une troisième ligne. Sans compter les nouveautés permanentes.

Toute l’histoire et la complexité du système social français

La fiche de paye s’enrichit, si je puis dire. Le prélèvement à la source a par exemple ajouté plusieurs items au salaire net : le taux d’imposition, et le net après impôt, qui n’est pas le net fiscal, attention, ce dernier étant la somme que retient l’administration pour calculer vos prélèvements, et pas celle que vous aurez sur votre compte en banque... Vous n’avez rien compris ? Vous êtes normal. Et en juillet dernier, on a encore rajouté le montant net social, qui sert au calcul des allocations comme la prime d’activité…
 
Et les charges, il y en a aussi beaucoup de différentes. Cela reflète la diversité des organismes collecteurs des cotisations sociales. La prime pour les accidents du travail n’est pas perçue par le même organisme que celui qui gère la retraite par exemple. Et il y a deux chiffres pour la plupart d’entre eux, les charges payées par le salarié, et celles de l’employeur. À travers le bulletin de salaire, on retrouve toute l’histoire et la complexité du système social français, qui n’a cessé de s’étoffer depuis la création des fiches de paye, en 1931. Et on retrouve aussi les raffinements de notre système fiscal. 

On comprend bien à travers tout cela que la fiche de paye n’est que le résultat, le produit final, d’un système que plus personne ne peut appréhender dans sa globalité tellement il est complexe. Simplifier le produit final sans rationnaliser la législation et la nébuleuse d’organismes qui sont en arrière-plan, c’est voué à l’échec. On souhaite quand même bon courage aux Sisyphe qui vont entreprendre cette tâche. 

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