La guerre que se livrent la Chine et les États-Unis se joue aussi au fond des mers, autour de gigantesques câbles transcontinentaux. Figurez-vous que le fond des océans de la planète est strié par plus de 430 câbles de télécommunications.
Il y en a pour 1,4 million de kilomètres
de fibres optiques sous-marines, 35 fois le tour de la terre, immergées à des
profondeurs qui peuvent atteindre plusieurs milliers de mètres. Des
infrastructures essentielles, car 95% de l’internet y transite, ainsi qu’une part
des transactions financières internationales – 10.000 milliards de dollars par
jour. Inutile de dire que c’est du très haut débit, sur les plus puissants, il peut circuler l’équivalent de trois fois la bibliothèque du congrès américain
par seconde. Chacun d’entre nous les utilise sans le savoir, car il est tout à
fait possible qu’un e-mail entre Brive-la-Gaillarde, en Corrèze, et Romorantin,
en Sologne, passe par San Francisco ou Singapour.
Ces câbles sont devenus un enjeu stratégique, parce que les posséder, c’est contrôler le trafic, en permettre le développement et en assurer la sécurité. Et c’est pour cela que ça occasionne des conflits. Il y a quelques jours, la Chine a claqué la porte d’un gigantesque projet appelé SeaMeWe, un câble de quelque 20.000 kilomètres qui doit relier Singapour à Marseille d’ici 2025, via le Moyen-Orient.
Elle se
retire parce que son champion, Hengtong, a été éliminé du contrat au profit
d’une entreprise américaine. Hengtong a repris les activités de câbles de télécoms
sous-marins de Huawei, et l’entreprise est accusée d’espionnage par les
États-Unis. C’est l’un des épisodes qui illustre le bras de fer que se livrent
les deux super-puissances pour le contrôle des infrastructures de
télécommunications.
Les enjeux sont très importants. Celui qui
maîtrise les infrastructures peut éventuellement les couper, par mesure de
rétorsion lors d’un conflit. Il peut aussi plus facilement espionner. Et il
possède un instrument d’influence. La Chine multiplie d’ailleurs les lignes
sous-marines en Asie et entre l’Asie et l’Europe dans le cadre de ce qu’elle appelle
les routes de la soie numériques, qui prolongent les vastes infrastructures de
transport maritimes et terrestres qu’elle développe entre l’Asie et l’Europe
depuis dix ans. Elle possède par exemple le câble appelé Peace
En 2020, l’administration américaine a affiché son objectif de disposer
d’un réseau de télécoms international "propre", c’est-à-dire dépollué de
l’influence chinoise. Côté américain, ce sont les Gafa qui sont à la manœuvre,
les Google, Microsoft ou Facebook qui déploient leurs propres câbles, avec la
bénédiction de Washington. En fait, on s’oriente peu à peu vers la partition du
réseau internet mondial : une zone d’influence américaine avec ses
infrastructures spécifiques, notamment sur les liaisons transatlantiques, et
une zone d’influence chinoise.
L’Europe en tant que telle compte les points,
j’allais dire comme souvent. Mais pas la France, il faut le noter. Orange, ex-monopole, détient 25 000 kilomètres de câbles sous-marins. L’entreprise est
d’ailleurs partie prenante de plusieurs grandes liaisons transcontinentales. Et
les Français possèdent aussi des navires spécialisés capables de surveiller
l’état de ces précieuses connexions, voire d’intervenir pour les réparer.