Coup de pompe pour Adidas. La marque aux trois bandes pourrait connaître ses premières pertes depuis plus de trente ans, lorsqu'elle avait été rachetée au bord de la faillite par l’homme d’affaires français Bernard Tapie. Elle a fait, pour la quatrième fois cette année, ce qu’on appelle un "profit warning", c’est-à-dire un avertissement destiné aux actionnaires pour prévenir que l’avenir financier s’obscurcit.
Le plus gros caillou dans la basket, c’est un rappeur qui l’a mis. Kanye West, l’un des artistes américains les plus réputés, ex-mari de Kim Kardashian, qui a diffusé ses titres des centaines de millions de fois en streaming, s’était en effet associé à Adidas, pour créer une ligne de sneakers et de savates, les Yeezy. Ces Yeezy sont assez baroques dans leur design… Des poulaines du Moyen Âge revues et corrigées par Star Wars, c’est tout juste s’il n’y a pas des clignotants quand on prend un virage avec. Baroques aussi dans leurs prix, plusieurs centaines d’euros la paire. Et voilà qu’en octobre dernier, le fameux génie du rap se met à proférer des insanités antisémites, à plusieurs reprises, publiquement. Scandale, Adidas rompt avec lui, les ventes s’effondrent et l’entreprise avec.
Une mésaventure qui pourrait coûter plus d’un milliard d’euros au total, entre les moins-values sur les ventes et la destruction des stocks. Une spectaculaire inversion, car l’opération était évidemment très profitable, au prix où étaient vendues les chaussures. À cela s’ajoutent d’autres problèmes plus classiques, comme l’arrêt brutal des ventes en Russie bien sûr, et les difficultés de la consommation en Chine l’année dernière, à cause des nombreux confinements qui ont fermé les magasins.
L’affaire Kanye West pointe les risques d’une telle association, entre une grande marque et une personnalité qui est par définition incontrôlable. Bon nombre de rappeurs américains ont développé leurs affaires ainsi, devenant milliardaires, mais tous n’ont pas l’intelligence d’un Jay-Z, l’un des premiers et des plus talentueux dans le business.
Que va donc devenir Adidas ? L’entreprise vient de récupérer un nouveau patron, un finlandais, Bjorn Gulden, qui présentera les résultats définitifs et la stratégie début mars. Il vient de chez le frère ennemi d’Adidas, Puma, qu’il a redressée également.
C’est incroyable, mais les deux entreprises, Adidas et Puma, viennent de la même famille bavaroise. Deux fils de savetier qui, dans l’entre-deux-guerres, fondent "la Fabrique de chaussures des frères Dassler". Mais ils se compromettent avec le pouvoir nazi, fournissent d’ailleurs l’armée allemande pendant la guerre, l’un des deux combat même dans la Wehrmacht. À la libération, les deux frères se brouillent et se partagent la fabrique familiale. Et l’un et l’autre créent leur propre entreprise. Adolf, c’est son prénom, crée Adidas en 1949, Rudi crée Puma. C’est Adidas qui prendra l’ascendant très vite, sous l’influence du fils d’Adolf, Horst, le précurseur du sport business. Aujourd’hui, Adidas vaut 25 milliards en bourse, plus de deux fois plus que Puma. L’un et l’autre sont des nains par rapport au géant Nike, fondé en 1968, qui vaut 195 milliards.