Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, donne une interview aux Échos ce vendredi 10 avril, avec Gérald Darmanin, le ministre du Budget. Ils évaluent la crise économique et son coût.
C’est bien simple, vous
prenez une récession ordinaire et vous rajoutez des zéros au nombre de
milliards. Les ordres de grandeur sont multipliés par deux depuis les dernières
estimations de l'impact de la crise sanitaire et du confinement, établis il y a
seulement quinze jours. - 6% pour le PIB sur l'année 2020, prévoient
aujourd'hui les deux ministres. Un déficit budgétaire qui double presque, avec
170 milliards pour le seul état.
Un plan de soutien à
l'économie qui double lui aussi à 100 milliards d'euros, compte tenu des
demandes d'aide très nombreuses. Des gestes salariaux "très
importants", disent Le Maire et Darmanin, pour les soignants - 7 milliards
de plus pour la santé - et des primes pour les fonctionnaires en contact
avec le public. Au total, une dette publique qui va passer de 98% de la
richesse nationale à 112%, soit une augmentation de 14% du PIB sur une seule
année. Voilà en gros les dimensions, provisoires, de la crise actuelle.
Provisoire car la récession n'est encore qu'estimée. Et même si ce scénario parie, à raison, sur une reprise laborieuse, c'est celle qu'on observe en Chine, on n'est jamais qu'en avril. En plus, au coût estimé aujourd'hui il faut ajouter le déficit de la sécu. Il faut aussi compter le futur plan de relance, encore des dizaines de milliards, avec des plans d'aide sectoriels pour les filières économiques les plus touchées, l'hôtellerie, l'aérien. Et la détérioration des comptes des collectivités locales, à cause de l'arrêt total des ventes immobilières, et donc des droits de mutation.
Tout ça va être payé avec de la dette. Pendant la crise de 2009, la dette française avait pris 30 points de PIB, passant de 60 à 90% de la richesse nationale. Cette fois-ci, l'ordre de grandeur peut être le même. Il est vrai que comme le PIB baisse plus qu'à l'époque, il y a aussi un effet d'optique, qui augmente la taille de la dette. Et il est possible aussi que la France profite du plan d'aide européen, il y a 550 milliards en pour toute la zone.
C'est un virage à 180 degrés de la politique économique française. La première étape de ce
retournement avait été la crise des "gilets jaunes", qui avait sensiblement infléchi la discipline budgétaire. Là, on est dans autre chose, un autre univers, où toutes les dépenses sont possibles. Je ne dis pas qu'elles ne sont pas nécessaires, je dis qu'il n'y a plus de limite. Chaque jour, le gouvernement annonce une nouvelle aide, ou une augmentation de celles qu'il a décidées. Nous entrons dans le sans limite budgétaire. Inutile de dire que dans ce contexte, les réformes entreprises auparavant seront abandonnées.
Comme la réforme des retraites. Édouard Philippe l'a dit demi-mot à TF1, il y a huit jours, elle est morte. Idem pour celle de l'assurance chômage. Jeudi 9 avril, Muriel Pénicaud a annoncé que même ceux qui avaient démissionné avant l'épidémie, pour un emploi qui ne s'est finalement pas concrétisé à cause de la crise, bénéficieront de l'allocation chômage. Si
vous me permettez, ce n'est plus la réforme, mais la contre-réforme de l'assurance-chômage.