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Marseille : les "blessures invisibles" des enfants face aux traumatismes des règlements de comptes

REPORTAGE - Cette année, les règlements de comptes et fusillades mortelles sur fond de trafic de drogue ont fait 47 morts à Marseille. RTL a décidé de s'intéresser à un sujet rarement abordé : celui des enfants qui sont parfois aux premières loges.

Un enfant dans un CMP, centre médico-psychologique, des quartiers Nord de Marseille
Crédit : Hugo Amelin
RTL ÉVÉNEMENT - Marseille : les enfants face au traumatisme des règlements de compte
00:04:17
RTL ÉVÉNEMENT - Marseille : les enfants face au traumatisme des règlements de compte
00:04:17
Etienne Baudu & Hugo Amelin & Manon Meyer
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À Marseille, dans certains quartiers, les enfants sont parfois des témoins directs de règlements de compte et subissent de graves traumatismes, des blessures psychologiques, des blessures invisibles, mais qui ont évidemment un impact sur leur vie de tous les jours.

Les enfants que nous avons croisés parlent en réalité assez librement de ce qu'ils ont vu, des scènes parfois insoutenables. Par exemple, le 13 août dernier, cité de la Cayolle dans les quartiers Sud. Il est 22h30, il fait chaud, les fenêtres sont ouvertes.

Ahmed 9 ans, assiste à l'assassinat de son grand frère juste devant chez lui. Il raconte : "J'étais en train de regarder la télé. J'ai entendu du bruit dehors, j’ai cru que c'étaient des pétards. J’ai regardé par la fenêtre, un mec s'est garé devant, il y avait mon frère. Et après, ils ont tiré sur lui. J'ai appelé ma mère, les gens disaient qu’il fallait appeler les pompiers. Depuis ce jour-là, ma mère des fois elle est malade et des fois elle me dit de pas sortir".

Autre exemple, parmi tant d'autres, au début du mois de juin dernier, cité du Castellas dans les quartiers Nord cette fois-ci. Il est 21h30. Mehdi, 13 ans, rentre chez lui avec son petit frère. Soudain, il assiste, médusé, à un règlement de compte : "Les mecs sont entrés dans la mosquée, ils l'ont pris par les cheveux, ils l'ont sorti, ils ont tiré et ils l’ont tué dehors devant la mosquée. Mon frère, il a tout vu ! C'est entre eux ça normalement. Moi, maintenant, j'ai juste peur des balles."

Des scènes terribles, choquantes, traumatisantes

À la suite de ces fusillades et de ces règlements de compte, les premiers à intervenir sont les psychologues de ces cellules d'aide psychologique dont on entend parler. Ils interviennent à la demande de la préfecture de police. À Marseille, c'est principalement l'AVAD, l'Association d'aide aux victimes d'actes de délinquance. Ces psychologues interviennent à chaud. Si chaque cas est particulier, certains symptômes traumatiques reviennent fréquemment. 

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Lisa, psychologue au pôle d'urgence de l'AVAD, les détaille : "Ça peut être parfois des flashs, des images de la scène qui lui reviennent en tête le jour mais aussi la nuit donc sous forme de cauchemar, avec des réveils en sursaut. C’est du coup le refus de dormir seul, le besoin de dormir avec la lumière allumée. Autre symptôme, l’enfant peut ressentir de l'anxiété et des difficultés de concentration à l'école, des troubles aussi de l'alimentation avec des pertes d'appétit ou au contraire un appétit augmenté". 

Un bloc d'immeubles de la cité de la Busserine à Marseille
Crédit : Hugo Amelin

Lisa a déjà également observé des phénomènes de régression : "Par exemple, un enfant de 5 ans qui veut remettre sa tétine, un enfant qui va commencer à perdre un petit peu le langage, qui va vouloir s'alimenter uniquement de purée ou de biberon. Ces symptômes, précise la psychologue, peuvent ensuite marquer l'enfant dans sa personnalité, dans son fonctionnement psychique sur du plus long terme".  

Et c'est bien ce qu'a constaté Corinne la maman de Lorenzo 13 ans. Ils habitent la cité du Castellas dans les quartiers nord. Ils ont assisté en avril dernier à une fusillade qui a fait 2 morts juste au-dessous de chez eux. Une balle a même ricoché sur leur bâtiment. 

Corinne l’affirme, ils ont été traumatisés : "C'est sûr que dans le quartier, quand vous voyez des moulons (des attroupements, NDLR) avec des calibres, c'est pas normal. Ça s’est traduit par des cauchemars. Il a peur de sortir, même s’il sort quand même parce qu'on est du quartier. Mais c'est très dur. Il a vu un psychologue. C'était pas obligatoire mais bon je lui ai dit vas-y, va voir ce que ça te donne. Et puis, j’ai eu un décès dans ma famille, j’ai eu des problèmes de santé. C’est pour ça qu’on a un peu laissé tomber.  Et puis il faut bien le dire, ils ont un peu pris l'habitude, toute cette violence maintenant, c'est devenu une banalité".

Ces traumatismes, ces blessures invisibles, peuvent avoir des répercussions à long terme

"Une banalité", dit cette maman. Et c’est bien ce que constate Johanna, elle aussi psychologue au pôle d’urgence de l’AVAD. Cet environnement d'une extrême brutalité conditionne en partie ces enfants. Avec une violence sous-jacente qui se banalise donc chez certains d'entre eux. 

Johanna a remarqué chez plusieurs enfants qu’ils "peuvent eux-mêmes être violents sans avoir conscience qu’ils sont violents. Ce n’est pas forcément passer à l'acte sur un plan physique ou intégrer un réseau par exemple. Ça peut être des violences verbales, ça peut être ‘Ben je peux parler fort’, je peux être un peu dans l’incivisme mais sans forcément me rendre compte que là je suis dans la violence. Parce que si je connais le summum de la violence et que je l'ai banalisée, après si je manque de respect à quelqu'un et je ne me rends même pas compte que je le fais".

Un suivi psychiatrique des enfants insuffisant, faute de moyens dans les quartiers populaires

D'abord, il faut bien le dire, les parents sont assez réticents à envoyer leur enfant chez le pédopsychiatre, comme l’avoue à demi-mot Corinne la maman de Lorenzo.  Et puis les structures d'accueil sont trop peu nombreuses. Nina est présidente de l'association Shebba, installée cité de la Busserine dans les quartiers Nord, théâtre de plusieurs fusillades et règlements de compte.

Son jugement est assez sévère : "Pour moi, quand un enfant voit une fusillade il subit une violence. Il faut qu'il soit immédiatement vu par un spécialiste. Le problème c’est que ça peut mettre des mois et des mois pour prendre un rendez-vous dans les CMP (centres médico-psychologiques, une dizaine sur Marseille, NDR), des fois un an ! Et après c'est cher et le psychologue libéral n'est pas remboursé, c’est un frein. Et en fin de compte les parents se rendent compte du changement de comportement de leur enfant, qu’il a peur la nuit, qu’il craint d’aller à l'école, qu’il n’a pas envie d’y aller tout seul. On voit bien qu'il a été traumatisé.  En fait, il n’y a aucun accompagnement. Ce serait bien quand même dans des cas comme ça de faire un suivi gratuit pour ces enfants-là. Mais un vrai suivi, pas une cellule de crise et après on arrête, c'est ça le problème."

Un enfant dans un CMP, centre médico-psychologique, des quartiers Nord de Marseille
Crédit : Hugo Amelin

En ce qui concerne les moyens, le diagnostic est donc facile à établir. Des psychologues et des psychiatres libéraux trop peu nombreux dans les quartiers Nord devenus des déserts médicaux et des centres médico-psychologiques (CMP) gratuits mais débordés avec entre un an et un an et demi d'attente pour un premier rendez-vous. Or le temps est précieux pour les enfants, il faut agir le plus vite possible pour éviter des répercussions irrémédiables, pour effacer ces blessures invisibles.

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