Hauts-de-France : quand les psys aident les agriculteurs, une cellule de soutien contre le mal-être des paysans
Face au malaise des agriculteurs qui s'illustre par de nouvelles manifestations en France, un dispositif de soutien a été créé au sein de la MSA, la Mutuelle Sociale Agricole. Ces professionnels présentent un risque de suicide 40% plus élevé que le reste de la population active.
La "cellule de prévention des situations de fragilité" de la Mutuelle Sociale Agricole (MSA), apporte une aide psychologique, un soutien financier si besoin et des solutions de "répit" pour des exploitants en détresse. Dans les campagnes, des "sentinelles" issues du monde agricole alertent sur les cas difficiles. Dans le Nord-Pas-de-Calais, ce plan d'actions a été lancé en 2020.
Dans son exploitation à Orchies, entre Lille et Valenciennes (Nord), Charles (prénom d'emprunt), 53 ans, revient de loin. Depuis 1996, avec son frère, ce père de famille gérait 75 hectares de céréales, avec 80 vaches, élevées pour la viande. La situation financière était plutôt sereine, mais à l'hiver 2022, après une série de tensions familiales, et face à une surcharge de travail, il a envisagé de se supprimer.
"Il faut toujours assumer, c'était une accumulation de choses, une surcharge de travail et le décès de ma mère notamment qui ont fait qu'un jour, j'ai pensé au pire", raconte-t-il. "Un matin, vers 7 heures après avoir effectué les premières tâches, j'ai élaboré un mauvais plan, j'en avais marre". Finalement, bousculé par une vache dans l'étable et pensant à ses proches, Charles renonce, mais il est hospitalisé et se voit proposer le soutien de la cellule de prévention de la MSA.
"Il ne faut pas avoir honte d'être à bout et d'aller se faire aider"
"Les exploitants agricoles séparent peu le milieu professionnel du milieu personnel, il faut intervenir sur plusieurs niveaux dès que la situation est identifiée", souligne Sophie Morin, responsable de la cellule à la MSA Nord-Pas-de-Calais. Si besoin, une aide financière est octroyée, un soutien psychologique avec des médecins, et des solutions de répit comme des services de remplacement sur l'exploitation ou des week-ends de répit familiaux.
"L'objectif est de proposer un coup de pouce pour que la personne puisse rebondir. Il s'agit d'un accompagnement", précise Sophie Morin. Ce plan d'actions s'appuie sur un réseau de professionnels : médecins-psychologues, travailleurs sociaux ou des animateurs.
Dans ce milieu souvent discret où l'on n'aime pas évoquer ses difficultés, le réseau d'aides compte sur des "sentinelles", des bénévoles issus du milieu agricole. Spécialement formés aux situations de mal-être, ils signalent les cas les plus fragiles. "Nous sommes des yeux et des oreilles sur le terrain pour alerter quand nous voyons des difficultés", explique Aude, agricultrice près d'Hesdin, dans le Pas-de-Calais.
Il y a quelques années, cette ancienne enseignante a été marquée par le suicide d'une voisine dans sa ferme. "J'aurais voulu l'aider davantage", dit-elle. "Agriculteur est un très beau métier, mais il ne faut pas rester seul et isolé. C'est l'accumulation entre le plan financier, la météo dont on dépend et le côté administratif toujours plus lourd, qui peuvent tout faire déraper", ajoute cette "sentinelle" qui se voit simplement comme une aide sur le terrain.
Ces bénévoles sont 115 sur le territoire nordiste. "Notre action n'est possible que parce que des personnes sont sur le terrain pour nous alerter et proposer à d'autres agriculteurs d'être accompagnés. La crise suicidaire est multifactorielle", indique la responsable de la cellule.
Depuis qu'il a été soutenu, Charles à Orchies s'est réorganisé dans son exploitation avec l'aide de certains proches dont son épouse. Il a entamé une formation pour reprendre son premier métier de moniteur auto-école, tout en continuant de travailler par intermittence dans la ferme. "Cela m'a permis de changer d'air, de faire d'autres rencontres, confie Charles. Dans le milieu agricole, on est souvent assez fiers et on bombe toujours le torse pour dire qu'on est très fort, mais il ne faut pas avoir honte d'être à bout et d'aller se faire aider".
Un record de cas suivis en 2024
Depuis le démarrage de la cellule, le nombre de cas signalés ne cesse d'augmenter, un signe de l'efficacité des "sentinelles" déployées. Avec les inondations dans le Pas-de-Calais et l'épidémie de fièvre catarrhale, l'année 2024 enregistre de nouveaux records avec plus de 200 agriculteurs suivis dans la région "à des degrés divers". Trois week-ends de répit ont été proposés à une dizaine de couples et autant d'agriculteurs seuls pour prendre du recul sur leur situation et parfois prendre de nouvelles décisions. "Je ne sais pas combien de personnes nous avons 'sauvées', assure Sophie Morin, mais dès qu'un signalement est fait, nous sommes déjà force de propositions".
Précision importante, le dispositif est entièrement financé par la mutuelle agricole, les agriculteurs en difficultés n'ont rien à débourser, aussi bien dans le suivi psychologique que dans les services de remplacement.
