C'est le grand bluff du gaz. Mercredi 23 mars, Vladimir Poutine a surpris tout le monde en demandant que le pétrole et le gaz russes soient payés en roubles. On connaissait les pétrodollars, voilà les pétro-roubles. C'est moins clinquant car le rouble s'apparente aujourd'hui à de la monnaie de singe. Pourquoi Poutine veut-il imposer cela ?
Il pourrait y avoir plusieurs raisons. D'abord, il récupère la seule monnaie qu'il peut utiliser sans problème puisqu'il est ralenti dans les transactions en dollars ou en euros. Mais c'est un peu anecdotique puisqu'il a la main sur la Banque Centrale Russe et qu'il peut émettre autant de roubles qu'il veut.
Plus important, il contrôle ainsi
l'argent des géants du gaz et du pétrole russe. Gazprom, Novatek, Rosnef...
toutes ces multinationales des matières premières n'aiment pas trop cette
guerre qui déstabilise leur business. Avec le paiement en roubles, Vladimir Poutine s'assure que ces grands groupes, qui pourraient se retourner un
jour contre lui, ne sont pas en train de constituer un trésor en dollars.
La demande de Poutine de payer le pétrole et le gaz russes en roubles est faite pour déstabiliser les européens. C'est une façon de les humilier. Si nous acceptons de payer en roubles, ça démontre notre extrême dépendance.
Et puis, c'est un moyen de
contourner le "droit extra-territorial américain". C'est un principe qui
autorise la loi américaine à condamner un groupe ou un individu d'un autre pays
s'il fait du commerce en dollars avec un pays sous
embargo. Et les sanctions financières peuvent être très lourdes. C'est ce qui
avait obligé Total et Peugeot à quitter l'Iran, il y a quelques années, puisque tout le commerce international de matières premières est en
dollars. Avec des Pétro-roubles,
Poutine dit à Washington que la Russie n'est pas l'Iran.
La demande de Poutine risque de ne pas marcher. D'abord, pour la simple raison que personne n'a de roubles dans ses poches. Le rouble n'est pas une monnaie de référence internationale comme le dollar, l'euro ou le Yuan chinois.
Poutine fait là un dernier coup de bluff pour obliger les européens à prendre conscience de leurs décisions. Le maître du Kremlin a compris que les européens allaient alourdir les sanctions et qu'on finirait tôt ou tard par mettre un embargo sur le gaz et le pétrole russe. Il agite l'épouvantail du rouble mais il sait qu'il va bientôt perdre sa rente énergétique.
Soyons honnête : personne ne sait combien coûte cette guerre à Poutine. Mais Martial You a fait un calcul à partir des estimations internationalement reconnues de la Coface, un spécialiste du risque international. L'organisme estime que cette guerre pourrait faire perdre 7,5% de PIB à la Russie si elle dure toute l'année. Ça revient à dire que la Russie perdrait 320 millions d'euros par jour en ce moment. En face, nous achetons pour 260 millions d'euros par jour de matières premières à la Russie. Donc, oui, on peut dire que nos achats d'énergies financent la guerre d'une certaine façon.
En vérité, c'est que ce sont les clauses des contrats longs terme sur le gaz avec
la Russie qui nous scotchent. On sait se fournir ailleurs. Totalenergies est le premier
exportateur et producteur de gaz de schiste aux États-Unis. On pourrait le
faire venir de là-bas. La Norvège va pousser ses capacités
de production au maximum. Mais casser les contrats russes coûterait des milliards. Sauf si le contrat précise que le paiement ne
peut avoir lieu qu'en dollars ou en euros et qu'on ne peut pas changer la
monnaie en route.
Mais selon les informations que Martial You a pu recouper : sur les contrats
anglo-saxons, néerlandais ou français, la monnaie est stipulée en dollar la plupart du temps et
passer aux roubles serait une cause de rupture de contrat. Mais quand vous êtes sous la
législation russe parce que vous êtes actionnaire d'un groupe russe comme
Totalenergies avec Novatek, alors c'est plus compliqué voire impossible.
Il faut maintenant que
les États européens assument leurs responsabilités et boycottent le gaz
russe. Mais ça veut dire aussi qu'il faut expliquer aux européens qu'il y
aura une chute de l'activité économique car des usines devront tourner au
ralenti l'hiver prochain et que nous devrons mettre un pull de plus à la maison
pour limiter le chauffage. En fait, Vladimir Poutine et les
Occidentaux font le même pari : à quel moment les opinions publiques vont-elles
se retourner contre ceux qui les dirigent ?
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