Délinquance juvénile : la réinsertion par la marche
Chaque année l'association Seuil offre à une quarantaine de jeunes en difficultés la possibilité d'une réinsertion à travers la marche. Un bol d'oxygène pour ces jeunes marginalisés qui ont des ennuis avec la justice.

Ils ont entre 14 et 18 ans, et ils acceptent de cheminer sur des centaines de kilomètres, pendant 2 ou 3 mois, juste accompagnés d'un adulte. La revue Sphères a suivi Sam, 16 ans, et Nolwenn, son accompagnatrice.
Pour ce pèlerinage laïc, il y a une règle : ni portable ni musique. Tout est fait pour que le jeune marcheur reparte de zéro, en solitaire ou presque. Un choc pour Sam qui vit en foyer depuis ses 13 ans. Quand on lui demande ce qui l'amène là, elle hésite un peu à répondre.
"Je suis trop insolente. On veut me virer du foyer, donc on m'a envoyé ici pour me calmer", confie-t-elle tout de même. C'est son éducateur, Mahio qui lui a proposé cette marche. "Elle n'allait pas très bien. Elle venait d'être exclue d'une formation, il ne fallait pas qu'elle reste sans rien faire", raconte-t-il.
Ce jour-là, Sam et Nolwenn ont fait six heures de marche sur la côte sud du Finistère, soit près de 25 kilomètres. "Je pensais que ce serait comme une balade en forêt, mais pas du tout. J'ai beau m'être habituée au rythme, j'ai mal tout le temps", dit Sam.
La résilience par la marche
La marche, Nolwenn connaît ça. Il y a neuf ans, elle est partie seule durant un mois et demi sur les chemins de Compostelle. Et Sam ne comprend pas. "Quel intérêt de partir toute seule pour marcher ? Si tu veux réfléchir, tu peux le faire dans ta chambre", s'interroge-t-elle.
Nolwenn explique doucement : les belles rencontres, le défi physique ... Peine perdue. "Moi je ne le referai jamais. J'ai coché la case randonnée, c'est fait. Et je me fiche que les gens trouvent ça impressionnant", lâche l'ado. Nolwenn sourit : "Tu ne te rends pas compte de ce que tu réalises".
Le pouvoir résilient de la marche, c'est le credo du fondateur de l'association, l'ancien journaliste Bernard Ollivier. "Cela fait mille ans qu'on met des gens en prison. Les jeunes en Centre Educatif Fermé, ils récidivent à 75% ! Et le prix de revient d'une journée, c'est pratiquement 700 euros. A Seuil, c'est la moitié, et 95% de nos jeunes reviennent avec un projet" dit-il.
De fait il y a peu d'abandon. 85% des marches vont à leur terme. "C'est du travail social par un biais différent. Ca ne dure que deux mois mais c'est peut-être plus marquant que de suivre un jeune en pointillé pendant un an", explique Nolwenn.
Des résultats positifs
Pour que la marche fonctionne, c'est sûr, il faut un bon binôme et quelques concessions. Nolwenn a dû faire une croix sur son régime végétarien. Sam, qui aime soigner son look, apprend à se contenter du strict nécessaire. Et elle se lamente : "Depuis le départ, je suis moche ! Je n'ai que des habits de rando et je ne me maquille pas".
Une heure par semaine, elle peut quand même utiliser un téléphone prêté par l'association. Elle en profite pour échanger avec son frère sur Snapchat et écouter du rap à fond. Pendant la marche, en revanche, on n'entend généralement que le couinement des chaussures.
"La marche en silence amplifie les émotions. C'est au jeune de les transformer en force plutôt qu'en faiblesse. Sam n'a pas lâché prise mais la marche c'est comme le thé: on plonge le sachet et puis il faut patienter pour que tout ça infuse", explique le directeur de Seuil.
En fait, quelque chose a déjà changé. "Sam va plus vers les gens", assure Nolwenn. Son éducateur la trouve apaisée. "Elle a un vrai potentiel. Il suffit de creuser un peu pour se rendre compte que c'est une chouette gamine", confie-t-il.
La marche ou la marge, une histoire à lire dans Sphères, la revue des communautés consacrée cet automne aux pèlerins. Un nouveau numéro arrive la semaine prochaine.