Été 1966, sur les bords de Saône. L'Auberge de Collonges-au-Mont-d'Or ne paye pas de mine. "Quand je suis arrivé ici, il y avait neuf chambres et neuf tables, donc ce n'était pas très grand, il n'y avait pas de route, pas de circulation", racontait le chef Paul Bocuse au micro de RTL.
C'est une guinguette au milieu des arbres où les Lyonnais viennent prendre du bon temps, avec des amours de passage. "Ils venaient passer un moment l’après-midi et ils venaient manger un morceau : saucisson chaud, omelette, poulet sauté chasseur, c'était des trucs de campagne", se remémorait Paul Bocuse, décédé samedi 20 janvier dans cette ville du Rhône où il est né.
Jusqu'aux années 1930, l'auberge était la propriété des
Bocuse avant que le grand-père ne vende les murs, mais aussi le nom de famille. Ce jour-là, Paul, le petit-fils, fine moustache et cheveux gominés, avec 180.000 francs
en poche, réalise son rêve. Il rachète la maison et son nom : le restaurant s'appellera désormais Paul Bocuse, et va devenir le plus célèbre du monde.
Bocuse a retrouvé son nom. Commence ainsi la fabuleuse destinée de ce cuisinier hors norme. Tout juste quarante ans, déjà trois étoiles au Guide Michelin, des articles élogieux dans la presse. Un bâton de maréchal obtenu dès 1961, lorsqu'il décroche le titre de "Meilleur ouvrier de France".
Sa recette, mille fois répétée tient en quelques mots : "Je suis toujours resté sur une cuisine classique, je suis un homme classique, j'aime que les choses soient identifiables et bien souvent servies avec des os et des arêtes", racontait le cuisinier. Mais le succès ne passe pas seulement par la mise en scène de la cuisine classique, la célébration du beurre et la renaissance de la volaille de Bresse en vessie "Mère Fillioux". La révolution Bocuse est d'avoir fait tout simplement sortir le cuisinier de sa cuisine.
"La première fois que je suis parti au Japon, c'était en
1965. Et je crois que c'était important de voir ce qui se passait. Le métier de
cuisinier, c'est un métier qui s'apprend tous les jours. La cuisine s'apprend
avec d'autres, plus on voit, plus on apprend." Paul Bocuse, sa toque lisérée de bleu, blanc, rouge, ses
bras croisés sur la photo, est la première star moderne de la cuisine.
Son seul
nom lui ouvre désormais toutes les portes. Vatel servait Louis XIV, Bocuse entre
en 1975 à l'Élysée pour créer la soupe aux truffes VGE. Le chef étoilé est
désormais plus qu'un virtuose, c'est une institution. Mais quel est le secret de Monsieur Paul pour résister au temps, aux modes ? À Collonges-au-Mont-d'Or, la star Bocuse reçoit les stars. Dans
les années 1960 la môme Piaf y débarque, souvent dans une grosse américaine, mais aussi Henri Salvador.
Premier chef à entrer au musée Grévin, tout ce qu'il touche lui réussit. Cinq restaurants à Lyon, quatre au japon, et en 1987, un concours international, le Bocuse d'or, conduit comme un show télévisé.
Deux ans plus tard, il est sacré "Cuisinier du siècle" et sacré à nouveau aux États-Unis en mars 2011. Dans ce déluge de succès et de louanges, Bocuse a-t-il sauvé son âme ? La réponse est dans son livre testament, Le feu sacré, où il fait une dernière fois la nique aux convenances avec ce secret révélé à 80 ans : le chef a toujours vécu avec trois femmes dans trois foyers différents. Incorrigible Monsieur Paul, qui à force de tout dire n'aura jamais rien dit, et dont l’alchimie de sa cuisine restera quoi qu'il arrive un succulent mystère.
Commentaires
Afin d'assurer la sécurité et la qualité de ce site, nous vous demandons de vous identifier pour laisser vos commentaires.
Cette inscription sera valable sur le site RTL.fr.