Langue française : pourquoi parle-t-on de "dresser la table" ?

L’étrangeté de certaines expressions du quotidien sont la trace des modes de vie de l’époque médiévale, raconte Muriel Gilbert…

Image d'illustration

Crédit : stella-de-smit/unsplash

Pourquoi parle-t-on de "dresser la table" ?

00:02:50

Hier matin, on passait à table avec une histoire de calmars et de calamars… Et c’est cette histoire qui a attiré mon attention sur la table, justement, et la façon étrange dont la langue française utilise ce mot, parfois. C’est vrai, pourquoi parle-t-on de "dresser la table" ?

Il y a deux sens principaux aux verbe dresser, c'est d’abord dompter, apprivoiser, rendre docile un animal, et ensuite c’est placer quelque chose en position verticale : "Le chien que tu as dressé dresse les oreilles".

Pourtant, quand on dresse la table, on ne la place pas en position verticale… car il est bien plus commode de manger sur une table horizontale. Et d’ailleurs, il existe une expression synonyme de "dresser la table", utilisée encore plus couramment, c’est tout simplement "mettre la table".

Là encore, quand on y pense, expression surprenante : littéralement, on ne met pas la table où que ce soit, on met des choses dessus, ça oui. Bref, pourquoi dit-on qu’on "met la table", puisque c’est tout le reste qu’on met, mais pas la table ?

Couverts en sautoir

Eh bien figurez-vous, amis des mots, que ces façons de parler nous arrivent tout droit du Moyen Âge. À l’époque, on ne mange pas comme aujourd’hui. Pas la même chose, bien sûr, mais surtout pas de la même façon. On n’a longtemps pas eu de couverts à table, ou juste un couteau, parfois une cuillère. La fourchette a été une révolution, importée d’Italie (comme tout ce qui est chic à l’époque) par le roi Henri III, et c’était à la fin du XVIe siècle seulement.

D’après l’historien André Castelot, la mode de ces larges cols blancs qu’on appelait des fraises a bien contribué à faire apparaître le besoin d’outils permettant de manger plus proprement. Quoi qu’il en soit, les couverts étaient parfois considérés comme si précieux que les personnes élégantes les portaient en sautoir – oui, autour du cou, pour se faire beaux. C’est pratique, notez. Toujours prêt à manger. Une mode à remettre au goût du jour. Ce qui tenait lieu d’assiette, surtout chez les moins aisés, c’était souvent une tranche de gros pain.

Et la table, me direz-vous ? Eh bien la table, notamment la table des banquets, mais aussi celle des seigneurs, qui souvent menaient une vie itinérante, était constituée de simples planches, que l’on posait sur des tréteaux puis qu’on recouvrait d’une nappe si on en avait les moyens, et qu’on décorait de toutes sortes d’ornements.

Bref, en dehors des repas, la table, elle n’était pas là. En somme, quand on avait besoin de la table, eh bien, il fallait apporter les planches, les tréteaux, et la dresser, la mettre debout quoi. Et voilà pourquoi, des siècles après, on parle encore de mettre et de dresser la table ! Encore un mystère résolu par le Bonbon sur la langue !

La rédaction vous recommande