DÉBAT - Faut-il supprimer les propos offensants des romans ?

C’est un débat qui agite bien au-delà des cercles littéraires. Depuis plusieurs années, des éditeurs expurgent des livres des passages jugés offensants, que ce soit sur l’origine ou le physique. Ce phénomène, qui a débuté dans les pays anglo-saxons, arrive progressivement en France. L’éditeur français d’Agatha Christie a annoncé lundi 17 avril sa volonté de supprimer des termes jugés offensants, afin de "s'aligner ainsi sur les autres éditions internationales". Dylan Slama, avocat et Anna Toumazoff, écrivaine et activiste, en ont débattu mercredi 19 avril sur RTL. 

 "L’idée est de pouvoir offrir un art sans blesser des personnes qui vont souffrir d’oppression dans la société. On l’a vu sur d’anciens livres d’Agatha Christie, avec des termes qui rappelaient l’esclavage (le titre Dix petits nègres a été changé en Ils étaient dix, ndlr). Le titre a été changé afin de ne plus blesser les personnes noires", a défendu Anna Toumazoff. "Pour les personnes qui n’ont pas été concernées par le racisme ou par l’esclavage ce n’était pas blessant. L’idée c’est que la littérature soit accessible à tout le monde sans blesser", poursuit-elle.

Un point de vue que ne partage pas Dylan Slama. "Je trouve ça terrible parce qu’on fait ça à des auteurs qui ne sont plus là comme Agatha Christie et Roald Dahl", s’insurge l’avocat, qui fait référence aux modifications apportées aux romans pour enfants de l'auteur anglais Roald Dahl. Les références au poids, à la santé mentale, à la violence ou aux questions raciales avaient été expurgées d'œuvres comme Charlie et la Chocolaterie ou James et la Grosse Pêche, suscitant l’indignation au Royaume-Uni. "Il n’y a pas de limites et aujourd’hui chaque minorité peut se dire offensée et justifier par ce statut une espèce de totem qui demande de réécrire des œuvres d’artistes qui ne sont plus là pour se défendre", observe Dylan Slama. 

Le risque, c'est d’avoir une littérature aseptisée

Dylan Slama, avocat

Anna Toummazoff a récusé toute volonté de vouloir réécrire les œuvres. "L’idée n’est pas de réécrire totalement les œuvres, si c’était le cas ça irait trop loin. Il ne s’agit pas d’effacer une réalité. Mais si une personne handicapée ou amputée se sent mal à l’aise de lire "estropié", et bien pourquoi pas. Cela va permettre de ne pas la blesser. C’est du cas par cas, il y a des nuances", assure l’autrice. 

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Pour Dylan Slama, "on aboutit à une situation absurde : aujourd’hui on peut acheter Mein Kampf non retouché, qui est du Hitler dans le texte, alors que Agatha Christie fera l’objet de changements." L’avocat estime que ces réécritures pourraient même s’élargir dans d’autres domaines. "Ensuite on va peut-être réécrire des films et des chansons, comme Lemon incest de Serge Gainsbourg. Cela pourrait aller très loin, et le risque, c’est d’avoir une littérature aseptisée".

La réalité a changé

Anna Toumazoff, auteure et activiste

Anna Toumazoff, elle, défend l’idée "d’adapter les contenus à une société qui a évolué". "Si on prend l’exemple des crimes passionnels, pendant longtemps cela a été décrit comme le point culminant de l’amour. Aujourd’hui on parle de féminicide, la réalité a changé. Ce n’est plus glamourisé et cela rend ce crime encore moins acceptable. L’art a un rôle dans la façon dont nous interprétons les faits", assure l’autrice. "L’idée n’est pas de réécrire de zéro toutes les œuvres ayant fondé notre patrimoine culturel". 

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