C'est la face sombre de l'application préférée des collégiens. Derrière son vernis de réseau social créatif et inoffensif, TikTok (anciennement Musical.ly) expose ses jeunes utilisateurs à des menaces dont ils n'ont pas forcément conscience. Au carrefour de Vine, Instagram et du karaoké, cette application chinoise permet à ses adeptes de poster des vidéos de moins de quinze secondes sur lesquelles ils dansent et chantent en play-back, rejouent des scènes de films et participent à des challenges quotidiens.
Portée par le géant chinois du digital Bytedance, TikTok est devenue l'application la plus téléchargée de la boutique en ligne d'Apple en début d'année, se payant le luxe de devancer Facebook, Snapchat ou Instagram. Elle est utilisée par plus de 500 millions d'utilisateurs à travers le monde, dont au moins 2,5 millions en France. Son succès est tel que Facebook a lancé récemment un clone aux États-Unis pour rajeunir son audience vieillissante. Mais l'attraction exercée par TikTok sur les préadolescents masque aussi une réalité beaucoup moins reluisante.
TikTok est un phénomène générationnel. La grande majorité de ses utilisateurs est âgée de moins de 15 ans. Même si l'âge limite est fixé à 13 ans, beaucoup sont encore plus jeunes. En France, plus de la moitié des collégiennes âgées de 11 à 14 ans possèdent un compte sur l'application, d'après une étude communiquée à RTL Futur par Génération numérique. À l'inverse, l'association qui fait la promotion d'un usage responsable des outils numériques auprès de 1.500 établissements scolaires n'a recensé que 15% d'utilisateurs chez les garçons de la tranche d'âge et seulement 22% des filles âgées de 15 à 18 ans.
À l'instar des autres réseaux sociaux axés sur l'image, les jeunes utilisateurs de TikTok évoluent dans un univers où priment la superficialité, le culte du corps et le beau. La plateforme est le théâtre de l'expression d'un narcissisme à outrance. Filtres et effets spéciaux à l'appui, les utilisateurs s'y montrent sous leur meilleur jour, dans l'espoir de récolter le plus de likes et de commentaires positifs. Une course à la popularité qui peut avoir des conséquences néfastes sur l'équilibre psychologique des plus jeunes.
"Toutes les plateformes qui poussent les enfants à n'être que dans l'exhibition les rendent extrêmement fragiles et dépendants du regard des autres, observe Justine Atlan, directrice de l'association de lutte contre les violences en ligne e-Enfance. "Les conséquences peuvent être dramatiques pour des individus en pleine construction intérieure. Face à des retours négatifs ou à un changement physique, des ados ou des jeunes adultes peuvent passer à des comportements addictifs car ils ont grandi avec une faille intérieure".
Comme sur Instagram, beaucoup d'utilisatrices de TikTok prennent exemple sur leurs chanteuses, actrices ou figures de la télé-réalité favorites et adoptent leurs postures sexualisées. On trouve sur la plateforme de nombreuses vidéos de préadolescentes en brassière, mini-short ou petite culotte reproduisant les danses lascives et la gestuelle de leurs modèles. "Sauf que ces dernières sont adultes. Les jeunes adoptent leurs poses sexualisées sans avoir l'âge et cela créée des convoitises chez des gens malveillants", regrette Cyril Di Palma, délégué général de l'association Génération numérique.
Habitué à dénoncer les dérives des réseaux sociaux sur YouTube, le vidéaste "Le Roi des Rats" a démontré début novembre que la plateforme est aussi fréquentée par des prédateurs sexuels qui n'hésitent pas à l'utiliser pour entrer directement en contact avec des jeunes filles. "Dès qu'une fille assez jeune danse en ayant un haut ou un short assez court, ou en imitant des danses sexy, vous pouvez être sûr qu'il y aura des commentaires lui demandant de continuer à faire ce genre de vidéos, des commentaires très déplacés lui disant qu'elle est sexy, ou des commentaires lui demandant son compte Snapchat ou de venir en message privé", déplore-t-il.
Dans une vidéo intitulée "la face cachée de TikTok", le youtubeur explique comment il s'est fait passer pour une préadolescente sur la plateforme pendant plusieurs semaines et "contacté par des personnes proposant d'échanger des liens ou des packs d'images pédo-pornographiques. Selon lui, ces prédateurs passent ensuite par l'application Tik, une messagerie qui permet de discuter sans avoir à confirmer son compte par un mail ou un numéro de téléphone. "TikTok sert donc à la fois de catalogue en libre-service et de point de rencontre pour ces gens", résume-t-il.
Des dérives similaires ont également été observées en Australie, en Chine et aux États-Unis ces derniers mois. En 2017, le père d'une jeune fille de 7 ans expliquait par exemple à la chaîne de télévision ABC News qu'il avait découvert que quelqu'un demandait des photos dénudées à sa fille sur Musical.ly, l'application avalée par TikTok. "Le Roi des Rats" avait aussi mis en lumière des comportements du même ordre sur YouTube.
Ces problématiques préoccupent les autorités françaises. La police nationale a lancé récemment un appel à la prévention à destination des parents rappelant que "les victimes peuvent porter plainte en cas de propositions sexuelles mal-intentionnées" et que leurs auteurs encourent jusqu'à deux ans de prison et 30.000 euros d'amende.
De son côté, l'association Génération Numérique va signaler à la Cnil (l'autorité française de protection des données personnelles) une infraction à l'article 8 du Règlement général européen de protection des données personnelles qui conditionne l'inscription d'un enfant de moins de 15 ans à un réseau social à l'autorisation des parents.
Contacté par RTL Futur, un porte-parole de TikTok assure que la plateforme "prend la sécurité et le bien-être des utilisateurs extrêmement au sérieux" et qu'elle a pris "de nombreuses mesures pour protéger la plateforme des usages abusifs". L'entreprise explique que l'application est réservée aux plus de 12 ans sur l'App Store et que les parents ont la possibilité de limiter la visibilité des comptes de leur progéniture (commentaires, messages, audience des publications) dans les paramètres de leur profil.
Les parents dont les enfants sont inscrits sur TikTok sont invités à dialoguer avec eux pour leur expliquer les risques auxquels ils s'exposent en publiant des vidéos et en dialoguant avec des inconnus. "Il faut qu'ils réalisent que dès lors que l'on est sur une application ou un environnement numérique, on est sur Internet avec l'objectif de communiquer et partager", souligne Justine Atlan. "Il faut appliquer sur ces applications les mêmes réflexes que sur les réseaux sociaux".
Concrètement, les parents peuvent aider leurs enfants à affiner les réglages de confidentialité de leur compte en le passant en privé, en définissant le nombre de personnes susceptibles d'entrer en contact avec eux et en leur laissant ou non la possibilité d'échanger des messages privés avec des comptes d'inconnus ou d'amis. Il est aussi possible d'empêcher la diffusion de vidéo en direct et le téléchargement des vidéos par les autres utilisateurs.