"Dark patterns" sur les sites de e-commerce : que sont ces techniques dénoncées par l'UFC-Que Choisir ?

Stocks de produits limités, obligation de créer un compte client, panier rempli automatiquement, entrave au désabonnement, prix barrés... Les sites de commerce en ligne ont recours à des "dark patterns" pour manipuler les consommateurs et les inciter à prendre des décisions non rationnelles. Ces procédés frôlant l'arnaque, qui sont aussi monnaie courante sur les réseaux sociaux, sont dénoncés ce jeudi 20 juin par l'UFC-Que Choisir qui demande des sanctions contre les places de marché les plus utilisées par les Français sur Internet.

Selon l'association de consommateurs, les vingt plus grandes plateformes de vente en ligne utilisent des "dark patterns", des interfaces numériques délibérément conçues pour influencer le comportement des utilisateurs en exploitant leurs biais cognitifs. Aucun des sites de Airbnb, Aliexpress, Amazon, Booking.com, Carrefour, Cdiscount, Decathlon, E.Leclerc, eBay, eDreams, Expedia, Fnac, Leboncoin, Leroy Merlin, ManoMano, Rakuten France, Shein, Temu, Veepee et Vinted n'en sont exempts. Cette pratique est pourtant interdite par le règlement européen sur les services numériques (DSA) appliqué en France depuis février dernier.

Temu en tête devant Aliexpress et Amazon

Ces manipulations peuvent se manifester de plusieurs manières sur les sites de e-commerce. Les plateformes peuvent créer un faux sentiment d'urgence en poussant des messages indiquant une disponibilité limitée de produits ("Seulement 2 articles restants", par exemple) afin de pousser l'utilisateur à acheter rapidement sans réflexion approfondie. Elles peuvent afficher des prix trompeurs, avec un prix initial élevé barré, suivi d'un prix réduit pour donner l'illusion d'une bonne affaire alors que le rabais est fictif. Elles peuvent aussi forcer les consommateurs à créer un compte pour finaliser un achat, compliquant le processus de vente et contraignant à divulguer plus de données personnelles que nécessaire. Enfin, elles peuvent intégrer des éléments de jeux dans le design de leur application et le parcours d'achat en répliquant les mécanismes du casino afin de rendre les clients accro.

Temu, la controversée plateforme de commerce en ligne, est particulièrement visée par l'étude, avec plus de 20 "dark patterns" recensés sur son site et son application. Le site chinois a d'ailleurs fait l'objet d'une plainte par l'UFC-Choisir devant l'Arcom. Temu est suivi dans le classement par Aliexpress, une autre plateforme chinoise, puis la plateforme américaine Amazon et la française Veepee.

Fort de ces constats, l'UFC-Que Choisir saisit la répression des fraudes, la DGCCRF, et la Commission européenne, pour alerter sur les dérives des professionnels, initier des enquêtes complémentaires et sanctionner ces pratiques désormais interdites au niveau européen par le DSA. 

Ces pratiques sont aussi dans le collimateur des autorités américaines. Mi-2023, Amazon a fait l'objet d'une plainte par la FTC, l'équivalent de la DGCCRF américaine pour son recours à des interfaces trompeuses qui incitent trop à souscrire à Amazon Prime et rendent trop difficile la résiliation d'un abonnement. 

Des techniques au coeur du développement des réseaux sociaux

Les "dark patterns" sont aussi au cœur des stratégies des réseaux sociaux et du développement de l'économie de l'attention. Les couleurs, les alertes, les notifications et plus largement toutes les techniques visant à optimiser les interfaces des applications ont vocation à capter l'attention des utilisateurs, augmenter leur taux d'engagement et leur faire visionner un maximum de contenus et de publicité. 

Ainsi, l'utilisation du rouge dans les notifications est propice à renforcer le sentiment d'urgence, par exemple. Le défilement infini ("scroll"), le balayage de l'écran ("swipe") et l'actualisation automatique des contenus et vidéos ("refresh" et "auto play") sur Instagram, X (Twitter), TikTok ou Tinder jouent quant à eux sur le sentiment de récompense et la peur de manquer quelque chose d'important (le fameux "Fomo", pour "Fear of missing out") pour renforcer l'addiction et stimuler le besoin d'être sans cesse connecté à ces applications.

Pour se libérer de ces influences, les experts recommandent de ne pas réaliser d'actions dans l'urgence, de limiter le nombre d'applications installées sur son smartphone, de désactiver les notifications qui ne sont pas nécessaires, voire de passer son téléphone en noir et blanc. Les systèmes d'exploitation de l'iPhone et des mobiles Android proposent aussi depuis plusieurs années des modes concentration pour réduire la pression sur les utilisateurs. Le lancement de ces outils de déconnexion numériques a fait suite à une levée de boucliers survenue à la fin des années 2010 dans la Silicon Valley. Des experts et professionnels du secteur avaient alors dénoncé les dérives des "dark patterns" et mis en lumière les dangers posés par la sollicitation excessive des utilisateurs.

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