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Salles de shoot : l’absence de décision politique face à une situation d’urgence à Marseille

Face à la toxicomanie de rue qui se développe dans le centre-ville de Marseille, deux collectifs d’habitants réclament pour la première fois l’ouverture d’une Halte Soins Addiction (HSA). Soutenus par six associations et ONG, ils se heurtent à une absence de prise de décision de la part des pouvoirs publics.

Une salle de shoot en France (illustration)

Crédit : VOISIN / Phanie / Phanie via AFP

Belsunce, symbole de ce Marseille qui réclame une "salle de shoot"

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Hugo Amelin

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Le quartier populaire de Belsunce est un dédale de ruelles, coincées entre la gare et le vieux port. Ici les riverains trouvent des seringues usagées dans les jardinières et les emballages de subutex jonchent le sol. Karim qui vit ici depuis toujours y tient un restaurant avec son frère. Membre d’un collectif de plus de 200 habitants, le Marseillais de 39 ans demande la création d’un lieu médicalisé dédié aux toxicomanes pour arrêter de vivre dans une "salle de shoot" à ciel ouvert.


"Tu sors de chez toi, tu vois ces personnes en errance sur le palier d'en face, affalées sur les entrées de portes. Ils sont en train de couper une canette pour en faire une pipe a crack artisanale. Les gens se piquent à 3h, 4h de l’après-midi. Ce qui dérange pas mal de familles, car elles les croisent à la sortie de l’école", dit Karim. Il y a trois établissements scolaires à proximité immédiate.

Environ un tiers des toxicomanes sont de jeunes femmes. La consommation de crack entraîne aussi des troubles psychologiques et une prostitution miséreuse qui prospère dans les parkings. D’abord réticentes, ces deux associations d'habitants ont finalement décidé de s'allier avec cinq structures spécialisées, dont Médecins du Monde, pour réclamer l'ouverture d'une salle de shoot. Une première à Marseille, où le précédent projet de HSA avait été stoppé net dans sa dernière ligne droite début 2024, par des manifestations de parents d’élèves, soutenus par la ministre de la ville Sabrina Agresti-Roubache.

 Nous, on demande juste à essayer. Parce que de toute façon, là, la situation est désespérée

Karim, riverain

Karim est à la fois combatif et désabusé : "La situation est désespérée. Pour eux déjà. Parce que pour nous les habitants, c'est facile d'en parler. On est chez nous, sur notre canapé. On entend 'je paye mon loyer, je paye des charges', mais ça, c'est une réflexion de bas étage. Si on peut aider à ce que les gens aillent mieux, et bien il faut le faire. On ne sauvera sûrement pas tous les consommateurs, mais on en sauvera. Parce que là, j’ai parfois l’impression que les responsables politiques attendent juste qu’ils meurent".

Une volonté qui n'est pas partagée par tout le monde. D'autres habitants redoutent l'ouverture d'une Halte Soins Addiction, par crainte d'attirer encore plus de toxicomanes dans le quartier.

Renforts sanitaires et policiers

La situation s’est dégradée au printemps, on croise ici des silhouettes amaigries, parfois en manque, parfois en transe. La mairie et la préfecture ont débloquées des moyens. "250.000 euros ont été investis pour les associations de prévention et de réduction des risques, qui assurent les maraudes et le ramassage de seringues. Le budget alloué à ces structures a augmenté de 300% ces deux dernières années", assure Michèle Rubirola, l’adjointe à la santé de Marseille, qui porte le projet à bout de bras.

Infirmière en santé publique et présidente de l’association ASUD Mars say Yeah, Caroline Gazziglia compare la situation d'aujourd'hui avec celle des années 80 et 90 quand l'héroïne ravageait certains quartiers de Marseille. Sa structure a accompagné 635 personnes en 2024, déjà plus d’un millier en 2025.

"Il y a tout un tas d'études scientifiques qui prouvent que la discrimination, la stigmatisation ne font qu'augmenter la prise de risque des usagers. Donc, la création d’une HSA, c'est permettre à ces personnes que les autres structures ne touchent pas, de pouvoir accéder aux droits, aux soins : un médecin, un psychologue, des infirmières. On est dans quelque chose qui relève de l'humanité", dit-elle.

Les patrouilles de police sont plus fréquentes et certains cars de CRS restent postés en aux carrefours du quartier, renforts réclamés et obtenus par les habitants. Mais les dealers sont plus mobiles que sur un point de deal solidement ancré comme ceux des quartiers nord, ils vendent de la cocaïne par fioles de 5 ou 10 euros et n’ont donc pas beaucoup de quantité de drogue sur eux.

"On a même quelques fois des policiers, des douaniers qui disent que ça ne sert à rien. Ça a un impact là, dans les journaux, tout de suite. On envoie des CRS, mais il n'y aura pas d'impact à moyen et long terme", poursuit Caroline Gazziglia. L’épineuse question de logements thérapeutiques pour les toxicomanes désireux de suivre un vrai traitement reste pour le moment en suspend, alors que la Halte Soins Addiction de Strasbourg en gère une vingtaine.

Le ministre de la Santé reconnaît un "bénéfice"

Après l’abandon du projet en 2024, Marseille est revenu au point de départ : pas de lieu et des dissonances politiques à tous les niveaux. Aujourd’hui, la mairie de secteur hésite à trouver un nouveau local, voyant les élections municipales approcher. La préfecture a organisé une réunion mi-juillet mais n’a pris aucune décision concernant le lancement d’un nouveau projet d’HSA. Les rapports, les expérimentations arrivent jusqu'au bureau du ministre de la Santé, Yannick Neuder, qui lui-même renvoie la balle sur la municipalité.

"J'ai pu regarder les études sanitaires qui montrent qu'il y a un bénéfice pour sortir les toxicomanes de cette addiction. Maintenant, il y a une question d'acceptabilité et moi, je ne me substitue pas aux élus marseillais", répond-t-il à RTL. "L’expérimentation nationale se terminera le 31 décembre 2025, nous verrons à ce moment-là". 

Ni vraiment pour, ni complètement contre. L’équation politicienne est ardue : toutes les études, comme le rapport de l’IGAS, montrent que les deux HSA crées à Paris et Strasbourg en 2016 ont amélioré la situation sanitaire et sécuritaire sur place, mais leur validation politique reste une décision hautement impopulaire.

À Strasbourg, l’expérimentation de la salle de shoot "fonctionne depuis 9 ans et nous n’avons plus besoin de prouver ni l’efficacité, ni l’utilité de ce dispositif. Elle a également eu un effet positif sur la tranquillité publique", argumente Gauthier Waekerlé, son directeur. "Malheureusement, elle devient trop souvent un enjeu politique et électoral", ajoute-t-il.

Macron ne créera jamais de nouvelle salle de shoot

un spécialiste du dossier

L’Europe compte environ 80 Haltes Soins Addiction. La France seulement deux. "Les HSA de Paris et Strasbourg ont été mise en place sous François Hollande et il se murmure dans les milieux autorisés qu’Emmanuel Macron ne créera jamais de nouvelle salle de shoot", glisse un autre spécialiste Alsacien du dossier.

Le procureur de Marseille, Nicolas Bessone, s’est dit favorable la semaine dernière à ce qu’une personne addict soit poursuivie pénalement mais aussi et surtout soignée : "Il faut affronter en face ce qu’est un toxicomane". Un courage qu’avait eu en son temps Henri de Belsunce, évêque de la cité phocéenne au XVIIIe siècle, et qui durant la grande peste de 1720 se porta au secours des malades, refusant de laisser l’épidémie s’enraciner, apportant des soins aux pestiférés. 

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