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Le chantier du prolongement de la ligne 12 du métro lors d'une visite de presse organisée par le groupe de construction français Vinci, à Aubervilliers, le 16 janvier 2018.
Crédit : PHILIPPE LOPEZ / AFP
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La semaine du 27 au 30 novembre 2023, le 23ᵉ Congrès mondial sur la sécurité au travail s'est déroulé à Sydney, en Australie. Pas moins de 4.000 experts, décideurs et acteur du domaine de la santé au travail venus de 120 pays différents se sont rassemblés afin de lutter contre le fléau mondial des accidents et morts au travail. L'occasion de comprendre les causes de ces accidents et d'explorer les solutions pour y remédier.
À travers le monde , environ 3 millions de travailleurs décèdent chaque année en exerçant leur emploi. Au sein de l'Union européenne, la France est l'un, voire le pire élève en la matière. En effet, même si les chiffres sont à prendre avec précaution du fait des méthodes de recensement différentes selon les pays, la France avait le pire taux d'accidents de travail mortels de l'Union en 2019, avec 3,53 morts pour 100.000 travailleurs en 2019 d'après Eurostat. En 2021, elle était 4ᵉ, avec un taux de 3,32 morts pour 100.000 travailleurs. Il y a environ deux morts par jour dans l'Hexagone et outre-mer, selon le ministère du Travail.
En 2021, l'Assurance maladie a recensé 645 morts au travail, et environ 600.000 accidents au total, hors accidents de trajet et maladies professionnelles. Néanmoins, l'organisme ne compte que les emplois du secteur privés, soit environ 20 millions d'emplois, et non ceux du secteur public, qui englobe approximativement 10 millions de postes, ou des statuts à part.
C'est ce qu'explique Matthieu Lépine, auteur de L'Hécatombe invisible - Enquête sur les morts au travail (2019). Ce dernier "recense les accidents du travail mortels en France et lutte contre l'invisibilisation des victimes dans les médias et plus largement dans la société" sur son compte X nommé "Accident du travail : silence des ouvriers meurent". Contacté par RTL, il explique : "Je ne critique pas leurs données. Je critique juste le fait qu'on les utilise toujours comme étant la réalité, alors qu'en fait la réalité est inévitablement supérieure à ça, puisque 10 millions de personnes n'entrent pas dans (...) ces chiffres-là", à savoir les emplois du secteur public et dépendants d'autres caisses. Par exemple, les marins pêcheurs, les autoentrepreneurs ou les bûcherons ne sont pas compris dans les chiffres de l'Assurance maladie, alors que ce sont des professions très touchées par les accidents au travail.
Les hommes ouvriers sont surreprésentés. Les ouvriers sont sept fois plus victimes que les cadres de ce type d'accidents, selon l'Observatoire des inégalités. En 2019, 19.280 accidents du travail graves avaient été recensés chez les ouvriers contre 1.805 chez les cadres. De plus, les hommes constituent 90 % des morts au travail.
Sur la question des générations, si la moitié des personnes mortes au travail ont 50 ans ou plus, Matthieu Lépine martèle son inquiétude en ce qui concerne la jeunesse : "En 2021, plus de 100.000 accidents du travail ont concerné des moins de 25 ans, ce qui est quand même important. (...) Ils arrivent, ne sont pas expérimentés, ils sont peu ou pas formés, ou en cours de formation". Ainsi, l'auteur d'un livre sur le sujet explique que, selon une étude de l'INRS reprise par le gouvernement, les moins de 25 ans ont "2,5 fois plus de 'chance' d'être victimes d'un accident du travail" que les autres catégories d'âge.
" Je n'aurais pas une réponse comme ça pour dire pourquoi la France est (...)" parmi les pires élèves, prévient le professeur d'histoire-géographie de Montreuil. "Mais si on regarde la situation française, on peut déjà essayer de pointer du doigt certains problèmes qui durent et qui deviennent aujourd'hui des causes structurelles de ces accidents du travail", avance-t-il.
Réfutant toute "fatalité" aux accidents mortels, l'auteur d'un livre à ce sujet nous donne quelques pistes. D'après lui, la tendance à l'externalisation des tâches par la sous-traitance dans les entreprises crée les conditions favorables à ces accidents de travail parfois mortels. Matthieu Lépine donne par ailleurs l'exemple d'un salarié qui ne "s'attache pas avant de monter sur un toit", pratique directement liée à la contrainte du temps imposée par les réductions des effectifs dans les entreprises, et accentuées par les crises économiques. 'Et puis un jour, l'accident survient et quelqu'un meurt", alerte-t-il.
Le gouvernement a réalisé, en septembre 2023, une campagne de sensibilisation aux accidents de travail à travers des clips en ligne. Notre interviewé assure que l'initiative va dans le bon sens : "Je ne peux pas critiquer cela. Beaucoup de fois, j'ai dit qu'il fallait essayer que le sujet soit plus visible, qu'il y ait une véritable prise de conscience à un niveau national", affirme-t-il. "Malheureusement, si on se limite à faire des clips et que derrière, on ne fait rien d'autre, ça s'appelle de la comm' (communication, ndlr)", nuance-t-il.
Au niveau des mesures à prendre, Matthieu Lépine estime qu'il faudrait rétablir la CHSCT - le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, supprimé par le gouvernement d'Emmanuel Macron avec la réforme du Code du travail de 2017. Il estime que cette suppression a "amoindri le pouvoir des représentants du personnel dans les entreprises". La CHSCT avait le pouvoir de dialoguer avec l'employeur en cas de problèmes liés à la sécurité et la santé au travail, le pouvoir d'enquêter en cas de problème, mais aussi de recourir à des expertises si besoin. Désormais, c'est le Conseil social et économique (CSE) qui exerce ces missions. Or, cet organisme n'est plus indépendant des intérêts économiques de l'entreprise comme l'était la CHSCT.
De plus, Matthieu Lépine n'estime pas forcément nécessaire l'instauration de nouvelles lois : "25 % des articles du Code du travail concernent les questions de sécurité et de santé au travail. (...) Déjà, (...) si les lois étaient respectées, ce serait peut-être différent". L'autre problème pointé par le professeur est le manque d'indemnisation des victimes des accidents du travail par les entreprises : les victimes d'accidents de la route sont beaucoup mieux indemnisées que celles au travail.
D'autre part, il ajoute : "Aujourd'hui, ça coûte moins cher à une entreprise d'indemniser une victime qu'en amont, de mettre en place ce qu'il faut pour éviter les accidents, c'est-à-dire former correctement ses salariés, avoir un matériel adéquat, avoir du temps". Afin de remédier à cette problématique, Matthieu Lépine avance un argument financier : " Je ne crois pas qu'il y ait une seule entreprise qui soit heureuse de voir ses cotisations accidents du travail et maladies professionnelles, élevées, monter justement parce que le nombre d'accidents est trop important".
Celui qui s'intéresse à cette question depuis des années propose aussi un recrutement massif dans l'inspection du travail, ainsi que de revenir sur la loi Rebsamen de 2015. À l'époque, le ministre du Travail François Rebsamen avait supprimé l'obligation pour les entreprises de demander l'autorisation à l'inspection du travail avant d'embaucher un apprenti sur un poste à risque. "Dorénavant, un employeur qui veut faire travailler un mineur apprenti sur un poste à risque n'a plus besoin d'autorisation. Il n'a qu'à prévenir l'inspection du travail", explique Matthieu Lépine. Or, entre 2017 et 2023, le nombre d'apprentis a été multiplié par deux, l'embauche ayant été facilitée par la subvention de cette pratique par le gouvernement.
L'ÉCO & YOU - Deux morts par jour au travail
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