Samuel Paty est "mort d’avoir été laissé seul", estime Natacha Polony
ÉDITO - Trois jours après la mort de l'enseignant Samuel Paty, vendredi 16 octobre, Natacha Polony assure que "l’enseignement est le pire ennemi" des intégristes.

Alors que la France pleure toujours l'enseignant Samuel Paty, assassiné le vendredi 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, l'enquête se poursuit, avec quinze personnes, dont quatre collégiens, placés en garde à vue ce lundi.
Samuel Paty est mort d’avoir été laissé seul, comme la rédaction de Charlie Hebdo était restée seule face aux menaces. Depuis vendredi soir, je pense à tous ces professeurs qui m’ont raconté les pressions, les remises en cause de leur cours par des élèves incultes et endoctrinés, les parents qui font pression et le rectorat qui veut éviter les ennuis.
J’ai commencé le journalisme en 2002, l'année de naissance de l’assassin de Samuel Paty. Mes premiers reportages dans des collèges et lycées racontaient la montée de l’antisémitisme, les atteintes à la laïcité. J’avais rencontré les auteurs du livre Les Territoires perdus de la République, paru cette année-là, qui étaient des professeurs qui alertaient, et qui se sont fait traiter de racistes.
Depuis toutes ces années, on a refusé de voir. Pire, nous nous sommes désarmés. Parce que notre arme à nous, Français, pour lutter contre les intégristes, c’est le savoir. Ce n’est pas un hasard si c’est un professeur qui a subi cette cabale, ce harcèlement, qui l’a désigné comme victime à un taré manipulé par des intégristes. C’est parce que l’enseignement est le pire ennemi de ces gens.
Nous avons préparé la victoire de l'obscurantisme
Natacha Polony
Ils cherchent avant tout à empêcher que l’école républicaine puisse faire son travail qui est d'émanciper les enfants, les futurs citoyens, en les nourrissant de savoirs universels. Ce qui les défrise, c’est que l’école leur fait perdre une emprise sur leur communauté et que le développement de la raison fabrique des individus qui peuvent être croyants, mais qui ne sont pas emprisonnés dans leur croyance, dans un obscurantisme abrutissant.
Le véritable problème est que ceux qui veulent imposer leur loi à la République et à son école, ont été aidés, depuis des années. Il y a, bien sûr, ceux qui ne veulent pas de vagues, et ceux qui considèrent qu’il faut ménager des élèves considérés comme victimes de discrimination, quitte à entretenir ce ressentiment, par lequel la soi-disant victime se donne tous les droits.
Mais il y a surtout ceux qui, depuis des années, ont vidé l’école de sa puissance émancipatrice en la vidant de tous les savoirs. Ceux qui ont abandonné l’enseignement de Rabelais, qui nous montre la puissance du rire, et du rire parfois grossier, pour déstabiliser un pouvoir religieux.
Il y a aussi ceux qui ont préféré organiser des débats-citoyens dans lesquels l’opinion d’un élève vaut la parole d’un professeur, et qui s’étonnent maintenant que des jeunes gens ne fassent pas la différence entre une croyance et un savoir, entre une opinion et une information. Nous avons préparé la victoire de l’obscurantisme.
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