Le rendez-vous a été pris au sous-sol du tribunal judiciaire de Nantes, dans le parking. Marie-Sygne Bunot-Rouillard attend avec son greffier dans une petite Clio, direction l'hôpital psychiatrique Daumezon. Ce matin-là, la magistrate examinait la situation de patients qui sont internés sous contrainte depuis moins de 12 jours ou depuis six mois depuis la dernière intervention du JLD (Juge des libertés et de la détention). Un contrôle systématique et obligatoire depuis 2011.
"Autour de la table, nous aurons les représentants des hôpitaux demandant la poursuite de l'hospitalisation complète", explique la juge. "Je vais entendre également le patient et son avocat, et ensuite, je prendrai une décision pour dire si je maintiens ou non cette hospitalisation. Je dois à la fois contrôler la régularité de la procédure et puis, bien évidemment, je ne fais pas un examen médical du patient, ce n'est pas mon rôle et je n'en ai pas la compétence, mais je dois vérifier que dans les certificats médicaux, j'ai une description de symptômes, qui ont justifié l'admission du patient et qui justifient qu'ils restent hospitalisés."
La juge s'est formé au contact de psychiatres, elle a même passé 4 jours - et nuits ! - en unité pour malades difficiles (UMD), elle lit beaucoup aussi sur le sujet. Mais son travail n'est pas de confirmer un diagnostic, mais bien de vérifier que la personne n'est pas "enfermée pour rien" pour le dire simplement, que tous ses droits ont été respectés.
À l'hôpital psychiatrique, des infirmiers en blouse bleu nous attendent devant la petite salle, au bout d'un couloir. La juge met quelques chaises rose pastel autour d'une table. "Vous venez pour l'audience ?", demande-t-elle d'une voix douce à un père qui semble perdu.
Les familles des patients ont en effet le droit d'être présents à l'audience et de dire quelques mots. Décider d'hospitaliser son conjoint ou son enfant contre son gré est toujours un moment bouleversant. Alors l'émotion est forte à l'audience, d'autant que certains revoient leur proche pour la première fois depuis qu'ils ont signé le document qui permet l'hospitalisation à la demande d'un tiers, comme ce papa assis en pleurs derrière sa fille aux longues nattes : "Le jour où elle a fait sa crise, elle était en danger pour elle-même, je n'avais pas d'autre choix."
Le premier patient de la matinée, lui, a été interné à la demande du préfet, car il représentait un danger pour les autres. "J'ai peur", articule l'homme en survêtement rouge, aux mots ralentis et à la voix pâteuse. Le patient roule des yeux en nous racontant ses micros qu'il a dans le cerveau et ses idées délirantes qui l'envahissent.
Un père de famille prend sa place, le crâne enroulé d’un énorme bandage blanc. Cet ingénieur a fait plusieurs tentatives de suicide. Il voudrait sortir de l'hôpital, mais il n'est pas sûr d'être prêt : "Je ne supporte plus d'être enfermé au milieu des fous. Mais si je rentre, je me sens incapable d'être avec mes enfants, échanger avec les autres m'angoisse encore".
La juge tente de ne pas aggraver les symptômes avec ses questions, l'important est de les canaliser, de ne pas entrer dans leur délire. Elle s'adapte aux patients schizophrènes, bipolaires, dépressifs qui défilent : "Ça peut être une logorrhée très forte ou des attitudes d'écoute qui nous laissent supposer que nous ne sommes pas seuls dans la pièce, qu'il y a des phénomènes d'hallucination qui sont en cours. Le patient ne doit pas être en souffrance pendant l'audience." Sur les 12 personnes reçues ce matin-là en audience, neuf voulaient sortir, retrouver leur liberté. Mais la juge a confirmé leur maintien à l'hôpital pour toutes sauf une, où la magistrate a décidé d'une main levée de la mesure.
La dangerosité ne guide pas notre décision
Marie-Sygne Bunot-Rouillard, juge des libertés et de la détention
Alors la juge des libertés et de la détention se demande-t-elle parfois si le patient va faire du mal à quelqu'un s'il sort ? Prend-elle en compte la dangerosité de la personne en face d'elle quand elle prend sa décision ? La magistrate secoue la tête. "Bien sûr que nous avons la notion de dangerosité en tête, mais ce n'est pas ce qui guide ma décision. Ce n'est pas parce qu'un patient est dangereux, que cela va justifier que ses droits ne soient pas respectés. La question de la dangerosité, on l'évoque dans le cadre des hospitalisations sur décision judiciaire, dans le cadre des irresponsabilités pénales."
Pour ces profils, comme c'était le cas de l'homme qui a blessé au couteau un militaire de l'opération Sentinelle gare de l'Est à Paris lundi soir. Il faut, en plus de l'avis des médecins, le feu vert de deux experts psychiatres indépendants pour pouvoir, un jour, réintégrer la société.
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