Disparition des jumelles Schepp : comment un divorce douloureux a tourné à la tragédie

Le drame s'est joué en seulement cinq jours. Mais, depuis 12 ans, il reste toujours entouré du plus épais des mystères. Où sont passées les jumelles Alessia et Livia Schepp, deux petites filles de six ans ? Leur malheur aura été d'être prises en otages par un père qui vivait mal un divorce douloureux. Une mésentente de couple qui en ce début de l'année 2011 s'est soudain transformée en tragédie.

Le dimanche 30 janvier 2011 en début de soirée, Irina Lucidi se présente au centre de police de Lausanne. La nuit est déjà tombée et un froid glacial règne sur la région. Cette femme, une avocate italienne de 44 ans, est des plus inquiètes. Depuis le milieu de l'après-midi, elle n'a plus de nouvelles de ses filles, Alessia et Livia, six ans toutes les deux, des jumelles. Ni de leur père, Matthias Schepp, 43 ans. Le couple est séparé depuis six mois et les filles passaient le weekend chez lui, dans le village proche de Saint-Sulpice. 

Irina Lucidi explique qu'à 15h50, Matthias lui a adressé un texto inattendu. "Je ne ramène pas les files ce soir. Je les conduirai directement demain à l'école". Rien qui ne ressemble à son époux, ingénieur très sérieux, très ponctuel, à cheval sur les principes. Après ce message, Irina indique qu’elle a réussi à joindre son mari. Mais la conversation a été brève. Il a répondu qu'il était chez des amis, qu'il ne pouvait pas parler. Elle s'est rendue à la maison de Saint-Sulpice. Il n'y avait personne, la demeure était en ordre. Elle a été intriguée par le fait que la voiture de Mathias ne soit plus dans le garage. Qui plus est, les sièges auto des filles n’avaient pas été emportés. Pas plus que les petits sacs à dos des enfants avec leurs doudous dont ni l'une ni l'autre ne se séparent. 

Le seul point qui rassure Irina c'est que Mathias adore ses filles et que celles-ci l'aiment tout autant. "Elles le suivraient jusqu'au bout du monde", dit-elle.

Une disparition inquiétante

Les policiers de Lausanne prennent immédiatement l'affaire au sérieux. Ils se rendent à la maison du Chemin de Champagne. La villa est explorée dans les moindres recoins. Pas de trace suspecte de sang, de lutte ou d'effraction. Les enquêteurs tombent toutefois sur un document qui les inquiètent. Il s'agit d'un testament en quatre points rédigé au stylo bille par Matthias Schepp le 27 janvier, soit trois jours avant la disparition. Il y prévoit que l'essentiel de sa fortune doit revenir à ses filles après sa mort. "Ce n'est plus qu'une question de temps", précise t-il. Il ajoute : "Au cas où mes enfants Alessia et Livia ne devaient plus être en vie, ce sont mon frère et ma sœur qui sont les héritiers principaux à parts égales".

Impossible de savoir où Mathias Schepp a emmené les jumelles. Il n'a laissé aucune indication même s'il a sans doute organisé depuis quelques jours ce périple. Vendredi 28 janvier, soit 48 heures avant la disparition, son épouse lui a fait savoir par mail qu'elle avait l'intention de divorcer. Ce message a t-il provoqué cette fuite ? 

Le père des deux filles semble avoir mis le cap au sud. Les polices suisse, française, puis italienne sont mobilisées pour la traque. Le fait que Matthias Schepp, n'ait pas équipé sa voiture des deux sièges enfants peut laisser penser qu'il les a laissées dans le coin avant de prendre la route pour la France. L'homme est déjà loin. À chaque fois qu'un indice donne un lieu de passage, il est déjà trop tard pour l'interpeller. 

Lundi 31 janvier, lendemain de l'enlèvement, Mathias Schepp est à Marseille. La vidéosurveillance va le localiser rue du Fort-Notre-Dame, tout près du Vieux Port. On le voit entrer dans un parking souterrain. Il retire 7.500 euros dans divers distributeurs. Il est vêtu d'un blouson et transporte un sac de sport noir. Il est toujours seul, les jumelles Alessia et Livia demeurent invisibles.

Cinq jours de traque intensive

Après avoir été repéré à Marseille, lundi, Mathias Schepp a embarqué à bord du cargo mixte le Scandola à destination de Propriano, en Corse. Il a acheté un aller simple pour trois passagers. On va ensuite apprendre qu'après une nuit de traversée, Matthias Schepp a passé une seule journée en Corse. Mardi 1er février au soir, il a quitté l'île, à bord d’un navire de la Corsica Ferries à destination de Toulon. Un aller simple pour une seule personne. 

Mercredi 2 février, alors que le filet policier se resserre, Matthias Schepp demeure introuvable. Impossible de savoir quelle direction il a pu prendre et surtout où se trouvent Alessia et Livia. Jeudi 3 février au soir, cinq jours après la disparition, les carabiniers de Cerignola, petite ville des Pouilles, en Italie, signalent le suicide d'un homme qui pourrait être l'ingénieur suisse recherché. Matthias Schepp s'est jeté sous un train, l'Euro City Milan-Bari. Son Audi noire est stationnée sur le parking de la gare. Aucune trace des petites filles.

Irina Lucidi, la maman, va dès lors commencer à recevoir à Lausanne une dizaine de lettres et cartes postales écrites par son époux. Posté, à la Valette-sur-Var, ce mot : "Je suis complètement fou, malade, je n'y arrive plus. Tout ce que je voulais c'était une famille. Au revoir pour toujours il n'y a plus rien à faire". Sept courriers sont postés depuis l’Italie. "Mes chers, je voulais mourir avec elles mais il en est allé autrement. Je serai le dernier à mourir. Les fillettes reposent en paix, elles n'ont pas souffert, elles sont tranquilles dans un lieu paisible".

Les invités de "L'Heure du Crime"

- Jacques Dallest, procureur de Marseille de 2008 à 2013 et auteur du livre Cold cases, un magistrat enquête aux éditions Mareuil
- Richard Werly, journaliste pour le média Suisse Blick

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