Un soir de février 1984, Claudine, 17 ans, s'apprête à rejoindre ses amis et son petit ami dans un bar dans le quartier de Stalingrad, dans le XIXe arrondissement de Paris. Alors qu'elle sort de la bouche de métro, trois hommes l'interpellent. L'un d'eux lui demande d'abord un briquet, puis ses bijoux avant de lui pointer une arme dans le dos. Claudine n'a d'autre choix que de suivre ces trois agresseurs sur le canal de l'Ourcq.
"En dehors du choc d'être interrompue dans mon élan de jeune lycéenne qui va vivre, normalement, une soirée normale, je comprends qu'il se passe quelque chose de très grave et que je ne vais peut-être pas en sortir vivante", se souvient Claudine Cordani qui deviendra la première mineure à refuser que ses violeurs ne soient jugés à huis-clos, dans Les Voix du Crime.
Sur les bords du bassin parisien, Claudine Cordani est violée, aux yeux de toutes et tous. Cette scène de violence ne suscite aucune réaction chez les passants. Le cauchemar ne s'arrête pas là : ses agresseurs l'emmènent ensuite dans un appartement. Claudine y est séquestrée et subit à nouveau un viol collectif.
Après plusieurs heures de violences sexuelles et physiques, ses agresseurs finissent par quitter temporairement le domicile. "Ils avaient prévu de me prostituer", affirme Claudine. Le calvaire semble cependant trouver une issue : "Deux jeunes hommes arrivent et me voient dans un drôle d'état, je leur raconte (…) je comprends qu'ils ne sont pas copains avec eux et qu'ils ont des comptes à régler'", poursuit-elle. Ces derniers préviennent alors la police et permettent à l'adolescente de s'enfuir.
Est-ce qu'il faut attendre qu'une victime apparaisse dans un état lamentable pour la croire ?
Claudine Cordani
La jeune femme parvient à porter plainte contre ses agresseurs. "Le viol a été reconnu comme crime quatre ans auparavant en 1980, c'était inédit, c'était encore frais dans les mémoires", contextualise Claudine.
Traces de brûlures, collant déchiré… Son état physique ne laissent aucun doute aux policiers sur le traumatisme qu'elle vient de subir. Sa déposition est prise aussitôt. Pour autant, elle estime avoir été "chanceuse" à l'époque. "Est-ce qu'il faut attendre qu'une victime apparaisse dans un état lamentable pour la croire ?", se questionne-t-elle aujourd'hui.
Quelques examens médicaux plus tard, Claudine peut désormais rentrer chez elle. Elle croise alors ses deux frères et leur explique la situation, mais l'adolescente les avertit : elle ne veut pas que ses parents soient au courant. "Je voulais les préserver", explique-t-elle. De même, elle demande à ses frères et sœur de ne pas venir au procès "parce que je ne voulais pas qu'ils entendent en détail ce qu'on m'avait fait subir."
Ce n'est pas à moi d'avoir honte
Claudine Cordani
Très vite, les trois violeurs sont arrêtés, et la machine judiciaire s'enclenche. Le juge d'instruction informe Claudine que le procès va se dérouler à huis-clos : du fait que la victime est mineure, les audiences n'acceptent ni la presse, ni le public. Pourtant, la jeune femme ne l'entend pas de cette oreille, et le refuse : "Ce n'est pas à moi d'avoir honte. Je veux que tout le monde sache, je veux que la société le sache."
Pour protéger sa famille de la médiatisation du procès, Claudine anonymise son identité et prend le pseudonyme de Caroline : "Ça porte le même nombre de lettres que Claudine, ça commence pareil, ça se finit pareil et il y a huit lettres." Le 25 octobre 1985, les condamnations tombent, et pour les principaux agresseurs, c'est la prison ferme. Si elle estime qu'à ce moment "la justice a fait son travail", son traumatisme psychologique et physique, lui, restera gravé à vie. "La vie ne s'est jamais assez arrêtée, mais elle est devenue différente", confie-t-elle.
Quarante ans plus tard, c'est sa profession de journaliste qui la fait sortir du silence. "Si un sujet est tabou dans la presse, c'est que c'est un sujet tabou dans la société", constate-t-elle. En 2020, Claudine Cordani publie La Justice dans la peau. Elle y retrace alors son histoire, l'histoire de la première mineure en France à avoir refusé le huis clos à ses violeurs.
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