À chaque attentat, sa vague de propositions, suivies de polémiques, débats, et parfois prises de décision. La déchéance de nationalité, l'État d'urgence inscrit dans la loi, la fermeture des mosquées salafistes et bien sûr, l'enfermement pur et simple des fichés S les plus dangereux.
La triple attaque dans l'Aude, vendredi 23 mars, a coûté la vie à quatre personnes, dont le lieutenant-colonel, devenu colonel à titre posthume, Arnaud Beltrame qui a échangé sa vie contre celle d'un otage.
Avec ce nouvel attentat, le premier depuis 5 mois après l'attaque au couteau à Marseille, les propositions habituelles ont retrouvé leur place dans les bouches des politiques de tous bords. Notamment celle d'enfermer et/ou d'expulser les fichés S. Manuel Valls, ou encore Laurent Wauquiez, proposent ainsi la "rétention administrative" des fichés S les plus dangereux.
La fiche S n'est pas un élément de preuve
Édouard Philippe, Premier ministre
L'assaillant du supermarché de Trèbes, Radouane Lakdim, était fiché S et inscrit au fichier des signalements pour radicalisation (FSPRT), mais son profil ne méritait plus d'être autant suivi, d'après les services concernés, qui n'ont pas identifié un potentiel danger immédiat.
Radouane Lakdim n'aurait alors pas été forcément concerné par cette proposition d'incarcération. Et, le Premier ministre y a répondu dans l'hémicycle le 27 mars. "Certains nous disent, 'expulsez-les tous', d'autres nous disent, 'enfermez-les tous' (...) Dire cela, c'est méconnaître profondément nos outils de renseignement", a rappelé Édouard Philippe devant les députés.
"La fiche S est un outils de police, de vigilance, qui permet d'accumuler du renseignement sur une personne, a-t-il poursuivi. Elle n'est pas en elle-même un élément de preuve".
Un mois après l'attentat à Nice le 14 juillet 2016, Elie Tenenbaum publie un article sur "l'internement préventif". Ce chercheur au Centre des Études de Sécurité de l’IFRI et coordinateur du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD) revient sur le conflit en Irlande du Nord pour étudier les effets et conséquences qu'ont eu des incarcérations d'individus proches du mouvement, sans passage à l'acte établi.
Il s'agit de l'opération Demetrius, mise en place entre 1970 et 1975 pour lutter contre les attaques terroristes du groupe politique IRA (Armée républicaine irlandaise). Cette milice qui s'est imposée comme protectrice de la minorité catholique à l'époque.
Le chercheur raconte que c'est "sous la pression politique de la droite unioniste que la liste de suspects" fut élargie, après un premier refus de mettre en place l'opération "doutant de son efficacité". "Cette extension de critères permet de porter la population internée à 1.356 personnes en seulement quatre mois", poursuit-il.
Une action terroriste dans une démocratie mise à mal par ses conflits sociaux accroît l'intensité du conflit
Elie Tenenbaum, chercheur au Centre des Études de Sécurité de l’IFRI
Les deux situations sont comparables selon lui, car il s'agit de "deux démocraties qui font face à des tensions politiques et communautaires avec un fort sentiment de discrimination dont se nourrit le terrorisme", explique le chercheur à RTL.fr. La communauté républicaine de l'époque en Irlande du Nord est ainsi comparable à celle des musulmans en France aujourd'hui.
Une dynamique similaire s'applique : "Une action terroriste qui intervient dans une démocratie déjà mise à mal par ses conflits sociaux et sociétaux accroît le stress et l'intensité du conflit". "La manière dont réagit la démocratie va déterminer la suite. S'il y a une accélération du stress, il y a aggravation du conflit", poursuit Elie Tenenbaum.
Outre le problème de la surpopulation carcérale que l'incarcération des membres et proches de l'IRA a créé à l'époque, et que cela créerait en France, Elie Tenenbaum relève aussi une "dégradation soudaine de l'image de l'armée" qui, aux yeux de la population n'était plus impartiale. En a découlé un "accroissement considérable des soutiens à l'IRA" et "l'augmentation considérable du nombre de recrues" et "surtout du nombre d'attaques violentes".
L'auteur de l'article rappelle toutefois qu'il existe notamment une différence majeure entre la société irlandaise de l'époque et la notre : il n'y a pas en France de soutien populaire au jihadisme, bien au contraire, il "fait l'objet d'un rejet quasi unanime". Une affirmation confirmée par Wassim Nasr, journaliste à France 24. L'auteur de L'État islamique, le fait accompli assure sur la chaîne d'information que dans les quartiers, "les gens sont plutôt contre les jihadistes". D'autant qu'il "n'existe pas aujourd'hui en France une telle emprise des réseaux jihadistes" comparable à celle de l'IRA, ajoute Elie Tenenbaum.
Mais le chercheur prévient toutefois : "L'absence d'action violente de la part de l'ultra-droite nous prémunit pour le moment de cette impression d'inégalité de traitement" du terrorisme. Il écrivait ces lignes plus d'un an avant le projet d'attentat de l'ultra-droite en octobre dernier. "Demetrius montre que l'internement est une arme à double tranchant qui, si elle est mal calibrée, peut se révéler un accélérateur de tensions".
Car les partisans du jihad "ciblent le ralliement de la communauté musulmane pour la soulever contre la République". "Attention à ne pas donner des arguments et des armes à nos adversaires", prévient Elie Tenenbaum. "Parfois le sentiment d'injustice est bien pire que le risque de ne pas mettre en oeuvre la politique", poursuit-il.
Attention à ne pas donner des arguments et des armes à nos adversaires
Elie Tenenbaum, chercheur au Centre des Études de Sécurité de l’IFRI
D'autant qu'une réaction violente de l'ultra-droite serait une aubaine pour les jihadistes selon lui. Il analyse ainsi l'attentat à Saint-Étienne-du-Rouvray comme une "vraie pro