Le samedi 11 juin 1994, aux alentour de 15h30, Corinne Tanay est chez elle à Saint-Jean-de-la-Neuville, une commune de Normandie entre Rouen et Le Havre. Elle ouvre un flacon neuf de Josacine 500 et le mélange, comme le veut le mode d'emploi, à un peu d'eau minérale. Depuis trois jours, sa fille Émilie, neuf ans, souffre d'une bronchite.
Du coup, la maman a hésité à aller passer le week-end chez Jérôme, un camarade de classe qui habite le village voisin de Gruchet-le-Valasse. Puis, elle a cédé, une grande fête médiévale est prévue dans la commune. Quelques minutes plus tard, Corinne Tanay dépose donc sa fille chez les parents de Jérôme, les époux Tocqueville, Jean-Michel et Sylvie. La maman leur confie le flacon et laisse ses préconisations.
Vers 16h15, les enfants, déguisés, participent au défilé médiéval. Il est prévu que tout le monde aille dîner le soir à l'abbaye du Valasse où la fête se poursuit. Avant cela, il faut qu'Emilie prenne son médicament. Vers 20h00, elle ingurgite une cuillère-dose et se plaint tout de suite du mauvais goût de la mixture. "Maman ne l'a pas fait comme d'habitude" dit-elle. Elle se rince la bouche. Un quart d'heure plus tard, elle se plaint de douleurs au ventre et s'écroule.
Les Tocqueville s'affolent. Les secours sont prévenus et Emilie décède à 22h20 à l'hôpital du Havre. Les médecins ne comprennent pas ce décès aussi rapide. Ils pensent alors à une rupture d'anévrisme.
Mercredi 15 juin, l'analyse du flacon de Josacine révèle la présence de cyanure de sodium. Le flacon avait été apporté à l'hôpital par un ami des Tocqueville, Denis Lecointre, appelé en urgence après le malaise d'Emilie. Une infirmière l'avait ouvert et dit avoir senti une odeur putride. Après vérification, il ne s’agit pas d’une erreur de laboratoire, le médicament aurait volontairement été empoisonné.
Le 17 juin, une semaine après le drame, les époux Tocqueville sont placés en garde à vue. Ils nient toute implication. Ils ne sont pas fous, ils répètent n'avoir jamais eu l'idée d'empoisonner Émilie. On les interroge ensuite sur leur vie privée.
Sylvie Tocqueville évoque alors une liaison avec le dénommé Jean-Marc Depperois, 43 ans, un élu municipal en vue, chef d'entreprise marié et père de deux enfants. Ils ont eu une relation débute mars. Depuis, de simples baisers échangés. Le mari, Jean-Michel Tocqueville, indique de son côté que Deperrois lui aurait demandé de quitter sa femme. Les gendarmes sont intrigués. Ils se renseignent sur cet amant qui dirige la société Imagerie Thermique Industrielle et apprennent ainsi que, début mai, il s'est procuré un kilo de cyanure auprès d'un ami industriel. Il lui a dit qu'il voulait faire des essais de traitement de métaux. C'est pour le moins étrange.
Mardi 26 juillet, sois un mois et demi après la mort d'Emilie, Jean-Marc Deperrois est placé en garde à vue. Il dément s'être procuré du cyanure. Après 24 heures de questions, il finit par admettre l’achat. Il certifie que c'était pour des "essais techniques". Quand il a appris la mort d'Émilie Tanay, a pris peur, car le drame s'est déroulé chez son ancienne maîtresse. Il craignait qu'on s'intéresse à lui. Il a paniqué et jeté le cyanure dans la Seine.
Les gendarmes élaborent le scénario suivant : Deperrois voulait éliminer Jean-Michel Tocqueville pour refaire sa vie avec Sylvie, il est entré dans la maison lorsque tout le monde était parti à la fête. Il savait que le mari avait eu récemment un malaise. Il a cru que le médicament lui était destiné. Il a donc versé le cyanure. Deperrois est mis en examen pour empoisonnement avec préméditation et écroué.
Jean-Michel Dumay : journaliste, ancien chroniqueur judiciaire au
Monde, auteur d’une contre-enquête en 2003 : Josacine, le poison du doute (Ed. Stock)
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