Le trône de sa majesté Rama X, roi de Thaïlande, vacille. Depuis quelques mois, la jeunesse thaïlandaise manifeste et réclame une réforme de la monarchie. Il s'agit déjà d'une révolution au pays du sourire. Sourire qui vire à la grimace.
Jusqu'ici, le roi affichait une posture d'homme moderne, plutôt débonnaire. Il avait même demandé la suspension de la loi de lèse-majesté, qui prévoit jusqu’à quinze ans d’emprisonnement pour toute critique du roi, de la reine ou de l’héritier. Tout a cependant changé lundi 30 novembre : 12 militants viennent d'être emprisonnés pour ce crime.
Rama X change de ton car il voit bien qu'il est visé. On lit ça dans l'édition du mardi 1er décembre de Libération. La montée de la contestation coïncide avec son accession au trône. "Ce roi ne jouit pas de la même aura que son père", explique une spécialiste de la Thaïlande. Rama IX était le bon roi bouddhiste. L'imagerie populaire le montrait toujours en train de travailler inlassablement pour son peuple, de transpirer sous le soleil d’avril pour construire des systèmes d’irrigation dans des villages reculés.
Le prince héritier, lui, s'est forgé une image aux antipodes. Dès 1987, dans une interview, il se présentait comme "le mouton noir" de la famille royale. "Ce qu’il y a de bien avec les moutons noirs, disait-il, c’est qu’ils font paraître plus blancs les autres moutons, qui autrement ne seraient peut-être pas si blancs que ça". Il n'a quasiment plus parlé à la presse depuis cette époque.
Alors que Rama IX était devenu roi presque par hasard, en tout cas dans des circonstances assez improbables, le jeune prince lui est né pour régner. Il n'a jamais envisagé de faire autre chose dans la vie. Il se voyait bien déambuler au milieu d'une foule agenouillée, qui répète doucement "vive le roi, vive le roi" en tentant de lui toucher les pieds. Vajiralongkorn de son vrai nom a trainé son adolescence dans des pensionnats anglais. Il n'a pas brillé, ne s'est pas vraiment fait des amis et a choisi la carrière militaire.
C'est là que ça se gâte. Le prince aime les femmes et en change facilement. Un comportement assez mal vu dans les cercles aristocratiques. Il s'est d'abord marié à une cousine germaine pour faire plaisir à sa mère. Avec elle, il a un premier enfant, une fille, mais le prince héritier en aime une autre, l’actrice Yuvadhida. Il va lui faire cinq enfants avant de la répudier pour infidélité et la bannir du pays. Celle-ci sera remplacée par une danseuse. Elle aussi répudiée et certains membres de sa famille envoyés en prison.
À 68 ans, Rama X semble enfin calmé. Il s'est marié avec une ancienne hôtesse de l'air il y a quatre ans. Trois mois après le mariage, celle qui est devenue la reine Suthida a assisté à la cérémonie d'intronisation de la concubine royale. Une tradition qui avait disparu de la cour thaïlandaise depuis près d'un siècle.
Ce qui dérange la jeunesse contestataire n'est cependant pas la vie débridée du prince, mais les morts et disparitions suspectes. Ce qui indigne encore plus est sa résidence prolongée en Allemagne. Il y est notamment resté pendant toute la durée du confinement.
Sa façon de jeter l'argent par les fenêtres est également dénoncée. Il loue plusieurs suites à l'année dans des hôtels de luxe en Europe. Aussitôt couronné, il s'est d'ailleurs empressé de faire passer sous son nom propre la colossale fortune des biens de la couronne, estimée à plus de 50 milliards d'euros. Tout cela, sans aucune transparence.
Jusqu'au mois dernier, Rama X vivait en Bavière, loin des contraintes de la cour. Dans sa magnifique propriété du lac de Tutzing, le prince pouvait se livrer à ses activités préférées, notamment le vélo qu'il pratique avec des tenues particulièrement excentriques. Le mouvement étudiant est venu contrecarrer ses plans. Il a été forcé de revenir passer du temps en Thaïlande.
Commentaires