La scène semblait trop belle pour être vraie. Le 11 décembre dernier, quelques jours après la prise de Damas par les rebelles et la fuite de Bachar al-Assad, une équipe de la chaîne américaine CNN a fait une extraordinaire découverte en plein reportage. Au cœur d'une prison du régime qui venait d'être évacuée, la journaliste Clarissa Ward remarque la présence d'un homme sous une couverture, au fond d'une cellule.
L'équipe de CNN le fait sortir de la prison, lui annonce la chute du régime de Bachar al-Assad, dans une séquence virale que la journaliste qualifiera de "l'un des moments les plus extraordinaires" de sa carrière. Sous le choc, l'homme raconte avoir passé trois mois enfermé dans cette cellule sans fenêtres et n'avoir rien avalé depuis quatre jours, dit s'appeler Adel Gharbal et être originaire de Homs.
Très vite, la scène a suscité certaines interrogations. Sur la véracité du reportage d'abord, la scène qualifiée de "scénarisée" ou de "pièce de théâtre" par de nombreux commentateurs. Parmi eux, le reporter syrien Hussam Hamoud, cité par nos confrères de Libération, qui dénonce : "Parmi les milliers d’histoires réelles et vivantes en provenance de Syrie, dont des millions résonnent dans chaque quartier, nous n’avons certainement pas besoin de scènes romancées pour transmettre la vérité".
C'est ensuite sur l'identité de l'homme libéré dans le reportage qui les doutes se concrétisent à travers une enquête du média syrien de fact checking de référence, Verify-Sy. Selon l'enquête, le nom donné par l'homme en question n'apparaît dans aucun registre public. Et pour cause, le média affirme qu'il s'agit en réalité de Salama Mohammad Salama, un haut gradé des services de renseignement de l’armée de l’air syrienne. Également connu sous le nom d'Abu Amza, il aurait assuré la gestion de postes de contrôle de sécurité et aurait été impliqué "dans des faits de vol et d'extorsion". Des sources locales citées par Verify-Sy assurent qu'il se trouvait en prison depuis moins d'un mois après un conflit avec un supérieur hiérarchique autour du partage de fonds extorqués.
L'enquête assure par ailleurs que l'individu "a participé à plusieurs opérations militaires à Homs", qu'il a "tué des civils" et qu'il est "impliqué dans la torture de plusieurs jeunes hommes, sans justification ou à partir d'accusations fabriquées de toutes pièces".
Nos confrères de Checknews, qui appartiennent au même réseau international de fact-checking que le média syrien, ont interrogé un porte-parole de la chaîne. "Personne d’autre que l’équipe de CNN n’était au courant de notre intention de visiter le bâtiment de la prison dont il est question dans notre reportage ce jour-là, explique-t-on. Les événements se sont déroulés tels qu’ils apparaissent dans notre reportage. La décision de libérer le prisonnier a été prise par le gardien – un rebelle syrien. Nous avons rapporté la scène telle qu’elle s’est déroulée, y compris ce que le prisonnier nous a dit, avec une attribution claire."
La chaîne CNN a, par ailleurs, lancé une enquête sur l'identité de la personne interrogée et "sur l'ensemble de l'affaire". Le 17 décembre, elle confirme dans un article que l'homme filmé "est un ancien officier des renseignements syriens et pas un citoyen ordinaire qui aurait été emprisonné", citant des sources locales.
Le média précise qu'il est "difficile de savoir comment il a fini dans cette prison" et explique avoir essayé de le recontacter, sans succès. CNN explique enfin que les rebelles ont remis ce détenu au Croissant rouge syrien, qui déclare sur les réseaux sociaux l'avoir aidé à retrouver ses proches.
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