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Les Français de la Silicon Valley à l'épreuve de Donald Trump

ÉCLAIRAGE - L'arrivée au pouvoir de Donald Trump a contraint les Français installés dans la Silicon Valley à composer avec un cadre contraire aux valeurs qu'ils étaient venus chercher dans la baie de San Francisco.

Vue aérienne de San Francisco
Vue aérienne de San Francisco
Crédit : pixabay
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Benjamin Hue

Pour eux aussi, l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a fait l'effet d'une bombe. Partis à la conquête de la Silicon Valley pour vivre à fond leur rêve entrepreneurial, les quelque 70.000 Français installés dans la baie de San Francisco ont dû apprendre à composer ces derniers mois avec un nouveau cadre, défini par les déclarations et les décisions chocs du nouveau locataire de la Maison Blanche, souvent aux antipodes des valeurs qu'ils étaient venus chercher au nord de la Californie.

"L’élection de Donald Trump a été une douche froide pour tout le monde", confie Pierre Letoublon, qui dirige Parisoma, un espace de travail collaboratif basé à San Francisco. "La Californie est un peu à part des États-Unis. Les grandes villes comme San Francisco ou Los Angeles sont des bulles qui votent quasiment exclusivement démocrates. Ce sont des villes prospères. Elles n'ont pas vu arriver cette revanche des catégories oubliées par les démocrates, pas du tout prises en compte pendant la campagne".

Un climat d'incertitude préjudiciable

Installé dans la Valley depuis 2009, Sylvain Kalache, cofondateur de l'école Holberton, où sont formés des ingénieurs informatiques selon un modèle de scolarité innovant, a vu son quotidien changer. "Une de mes étudiantes qui a passé toute sa vie aux États-Unis s’est confiée à mon cofondateur après l’élection de Trump pour lui dire qu’elle n’était pas légale ici. D’une manière générale, il y a une peur pour les Français qui sont en attente d’un visa car les délais de traitement ont explosé. Le temps d'attente a quasiment triplé".

Le décret anti-immigration et le remodelage des visas font planer une grande incertitude sur le sort des entrepreneurs et des travailleurs étrangers. "Le visa du PDG d'une start-up allemande qui cartonne en Europe et investit massivement ici a été refusé à deux reprises. Il a dû retourner en Allemagne et sa boîte a mis ses projets de développement aux États-Unis entre parenthèses", déplore Pierre Letoublon. Alors, avec des associations de défense des droits de l'homme américaines, il organise régulièrement des ateliers pour sensibiliser la communauté aux nouveaux réflexes à adopter à la douane. 

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L'immigration est pourtant un moteur historique de la Silicon Valley, qui emploie beaucoup plus d'immigrés que les autres industries. "Dans la baie, un fondateur d’entreprise sur deux n’est pas né aux États-Unis. La main d’œuvre étrangère est très importante. Vous allez retrouver de toutes les nationalités dans les grandes entreprises technologiques comme dans les petites start-up. La Silicon Valley a besoin des meilleurs employés, peu importe d’où ils viennent. La question des visas est cruciale. Ce climat d’incertitude est très préjudiciable pour l’écosystème", regrette Pierre Letoublon.

La tech contrainte de sortir de sa réserve

"Avant, les start-up devaient avoir un ancrage dans la Silicon Valley pour intéresser les investisseurs. Aujourd’hui, les investisseurs sont obligés de regarder ailleurs. Ils savent très bien que les boîtes ne peuvent plus faire venir des ingénieurs d'ailleurs. C’est la première fois, depuis un an, que j’entends dire que ce n’est pas grave si une partie de la société n’est pas dans la Valley. Le modèle transfrontalier les intéresse", observe Carlos Diaz, entrepreneur et leader du mouvement des "Pigeons", arrivé dans la région il y a huit ans. Depuis l'élection de Donald Trump, Vancouver s'est imposée comme une alternative pour de nombreux entrepreneurs ne pouvant pas se déplacer aux États-Unis.

Attaquée sur ses valeurs et menacée dans ses intérêts, la Silicon Valley a dû sortir de sa réserve habituelle et porter sa voix pour la première fois. "Les entreprises technologiques se sont rendu compte que c’était trop facile de dire qu'elles n'étaient que des fournisseurs de technologie et des plateformes qui n'avaient pas de contrôle. Beaucoup d’acteurs se sont mobilisés", commente Pierre Letoublon.

"Jusqu'ici, la politique n'était pas une question car la majorité des patrons ne vote pas", abonde Carlos Diaz. "Mais j'ai l'impression depuis un an que la Silicon Valley doit jouer un rôle politique et civique, faire du lobbying, porter un message politique pour l'ensemble des États-Unis car elle ne peut plus compter sur des relais démocrates ou républicains. On doit montrer que ce qu’on est en train de faire aide l’ensemble des Américains et pas simplement nos intérêts". Les changements apportés à Facebook récemment s'inscrivent en ce sens.

Remise en question

"Il y a pas mal de débats sur son rôle, sa responsabilité, sur l’uniformité de la communauté", poursuit Pierre Letoublon. "L'écosystème est toujours florissant et reste toujours le plus attirant pour les entrepreneurs. Mais les loyers ont atteint des niveaux démesurés. C’est un monde de plus en plus fermé sur lui-même, un peu trop autocentré". Plusieurs anciens représentants de grandes entreprises comme Facebook ont d'ailleurs récemment dénoncé les dérives de la technologie sur la société et questionné le sens de leur action.

Pour l'instant, cette crise existentielle n'a pas eu raison de la motivation des expatriés. Mais comme Camille Despringhere, designer en expérience utilisateur chez Sciforma, établi dans la Silicon Valley depuis 2009, certains s'interrogent sur le sens de leur exil. "Être expatrié a un coût émotionnel. Tu es loin de ta famille, de ta culture. C'est un coût que j'arrive de moins en moins à justifier car les valeurs américaines d'inclusion, d'ouverture et de progrès pour lesquelles je suis venu ici sont impactées tous les jours". 

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