- 01m12s
3 min de lecture
"Je vis dans la peur" : après 16 ans sous couverture, l'incroyable histoire de l'infiltré d'ETA qui se dit abandonné par l'État espagnol
Cet homme, qui a même purgé une peine de prison, est considéré par un haut gradé comme l'un des informateurs les plus efficaces de la police espagnole. Mais après des années dans la clandestinité, il se dit désormais lâché par l'Espagne.
Des agents de la police espagnole (illustration)
Crédit : AFP / DOMINIQUE FAGET
Je m'abonne à la newsletter « Infos »
La réalité dépasse la fiction. Le quotidien espagnol El Mundo a rencontré "Angel", un nom d'emprunt : un homme qui a passé 16 ans infiltré au sein de l'organisation indépendantiste basque ETA. L'histoire d'"El Infiltrado", comme le journal l'appelle, est confirmée par un haut gradé de la police espagnole. "Il est le plus grand et le plus efficace infiltré que la Guardia Civil ait jamais eu au sein de l’ETA, et il l’a fait par pur patriotisme", assure-t-il.
Pendant seize ans, Angel a vécu au milieu des commandos, préparé de vrais faux attentats, transmis chaque détail à la police. Il a permis l’arrestation de Txeroki, le numéro un de l'organisation, et la chute de plusieurs cellules encore actives, même après la dissolution officielle de l'organisation en 2018.
Pour rendre son rôle crédible, Angel a accepté d’être arrêté, de purger une longue peine. Ses parents et sa grand-mère sont morts en pensant qu’il était un terroriste. Et quand il a enfin terminé sa mission, il a été laissé sur le carreau. Il a écrit aux chefs de la police, aux ministres et même au Roi d'Espagne. Des courriers qui sont restés lettres mortes. "L'État ne peut pas m’abandonner", implore-t-il aujourd'hui. "Je vis dans la peur et dans un mensonge qui ne finit jamais."
Une vie dans la clandestinité
Dans El Mundo, il raconte son recrutement, après des années de militantisme soft - des manifestations et des collages d'affiche : un homme qui l'aborde dans la rue, et des mots de passe, des adresses qu'il faut retenir sans jamais prendre de notes. Il a vécu la clandestinité extrême dans le sud de la France : une planque où vivent huit camarades qui portent des surnoms, dans une discipline militaire. La consommation d’eau et d’électricité était strictement limitée, avec des douches à jour alterné pour simuler une seule présence dans la maison. Pour éviter toute trace, les militants utilisaient même de la chaux pour dissoudre les excréments quand il le fallait.
Il a appris le tir, de nuit, dans des forêts isolées. Il a assisté à la liesse en interne après le vol de 350 pistolets en France dans le Gard, en 2006. La même année, il a su que quelque chose d'énorme se préparait, mais il n'était pas dans la boucle, et il n'a rien pu faire : une bombe explose dans un terminal de l'aéroport de Madrid, causant deux morts et 52 blessés, et faisant voler en éclat les négociations de paix.
Pas de fiche de paie, pas de chômage, pas de retraite
Pendant tout ce temps, il a été payé, secrètement, par l'Espagne. Son salaire d'infiltré était environ 6.000 euros par mois. Il a également reçu 350.000 euros pour acheter un logement, comme promis. Mais après ? C'est là que commencent les vrais problèmes : les versements sont en grande partie opaques, souvent en liquide. La banque lui demande de justifier des dépôts, de produire des factures. Il ne peut pas.
Pas de fiches de paie officielles, pas de cotisations. Donc pas de droit au chômage, pas de retraite. La comptabilité de sa vie a été faite "au noir" pour protéger les opérations et c'est Angel qui en fait les frais désormais.
Aujourd'hui encore, il évite les relations amoureuses ou amicales. Il dit craindre les représailles : "Un coup de couteau, une balle dans la nuque, ou disparaître". Il demande trois choses : qu’on efface l’étiquette "terroriste" de son dossier, qu’on lui assure une protection permanente, et qu’on lui donne un emploi ou une retraite digne. Pour le moment, Angel l'infiltré est tout seul.
