On parle de plus en plus de la semaine de quatre jours, on
l’expérimente même en Picardie. L’histoire du capitalisme, c’est
l’histoire de la diminution progressive du temps consacré au labeur par les
hommes. Sous l’effet d’un mouvement très puissant et pourtant invisible, la
productivité. C’est-à-dire le fait qu’avec une heure de travail aujourd’hui, on
produit 20 à 30 fois davantage qu’au milieu du 19ᵉ siècle, grâce à l’énergie
et aux transports bien sûr, grâce à l’organisation, à la communication, grâce à
l’éducation. Grâce au progrès scientifique en un mot. Le progrès, cette force
continue, a permis à la fois la baisse du temps de travail et l’augmentation
des salaires.
En 1830, date de naissance du capitalisme moderne avec la
première ligne de chemin de fer au monde, entre Manchester et Liverpool, on
travaille 15 à 17 heures par jour, six jours sur sept. En 1841, pas plus de 8
heures par jour pour les enfants de 8 à 12 ans. Et c’est dans l’atmosphère
révolutionnaire de 1848 qui enfièvre toute l’Europe qu’un décret, en France,
fixe la journée de travail à 12 heures quotidiennes. Mais ça ne dure pas. Sous
l’effet de la formidable poussée industrielle du second empire, les horaires
s’allongent à nouveau, dans des conditions matérielles épouvantables. Et le
mouvement ouvrier se saisit d’une revendication qui va bientôt s’internationaliser,
les huit heures par jour. Ce nouvel horaire ne sera adopté qu’au sortir de la
première guerre mondiale. Huit heures par jour, six jours sur sept, la semaine
de quarante-huit heures est adoptée en 1919.
L’autre grande étape du 20ᵉ siècle, ce sont les
lois sociales de 1936, semaine de 40 heures et 15 jours de congés payés, sous
le gouvernement de Léon Blum, après les grandes grèves du printemps. Peu après,
on repasse à 60 heures à la veille de la guerre et sous Vichy, pour retrouver
le rythme du Front populaire après la guerre. Mais bon nombre de Français sont
au turbin encore 5 jours et demi, samedi matin compris, jusque dans les années
1970. En 1981, 39 heures, avec les lois Auroux de François Mitterrand. 2000 et
2002, passage au 35 heures, sous le gouvernement Jospin. Et nous contemplons
aujourd’hui la semaine des 32 heures.
Ce mouvement n'a pas de fin. Le grand économiste Keynes, dans un texte de 1930,
pronostiquait 3 heures de travail par jour en 2030, assez, disait-il, pour
contenter le vieil Adam en nous, Adam chassé du jardin d’Eden pour une vie de
travail à cause du péché originel, d’après la Bible. En fait, la question de
l’avenir de la productivité divise aujourd’hui les économistes. Elle semble
ralentir, pour des raisons qu’on ne comprend pas bien. Et à cela s’ajoute la
contrainte climatique, qui nous interdit d’utiliser sans mesure les énergies
carbonées. La transition énergétique va donc freiner au moins temporairement la
productivité. Mais sans doute l’inventivité humaine et la science, qui sont
sans limite, nous permettront, un jour, d’alléger, peut-être même de dépasser
cette contrainte, grâce à de nouvelles sources d’énergies qui n’auront pas les
effets délétères des anciennes.