C’est la crise de succession à la tête d’une grande entreprise
française. C’est en effet la Scor, le grand réassureur français, dont le directeur
général est parti de façon abrupte en fin de semaine dernière, alors qu’il
avait été nommé il y a peu. Un réassureur, c’est l’assureur des compagnies
d’assurance, c’est auprès de lui qu’elles garantissent leurs grands risques, en
payant des primes, exactement comme nous. C’est le second échec du Président de
Scor à désigner et conserver un successeur. Le précédent, Benoit
Ribadeau-Dumas, avait, lui aussi, quitté l’entreprise après que la direction lui
avait été promise, faute d’avoir pu s’entendre avec le Président. Un troisième
successeur potentiel arrive donc le mois prochain, en moins de 3 ans. Ça
commence à sentir la mission impossible.
Réussir sa succession est l’une tâches les plus difficiles pour un
patron. Parce qu’il faut non plus exercer le pouvoir, mais le céder à un autre.
Alors qu’on connaît très bien l’entreprise. Qu’on pense faire mieux que les
autres, et que souvent, on fait mieux que les autres. Et aussi, c’est moins
glorieux, qu’on est habitué au pouvoir et aux marques de déférence qui
l’accompagnent. Vous connaissez la phrase qu’on prête aux dirigeants : "mon
prédécesseur était un incapable, mon successeur est un intrigant". Denis
Kessler, 70 ans, le patron actuel de Scor, est une figure du capitalisme
français, ex-N°2 du Medef, qui a littéralement sauvé Scor de la faillite, il y
a vingt ans. C’est une personnalité qui ne compose pas. Et la période actuelle
n’est pas facile, les catastrophes naturelles se succèdent et avec elles les
méga indemnités versées par les réassureurs. Scor a perdu de l’argent, 500
millions sur les 9 premiers mois de 2022. Mais cette fois-ci, après deux
tentatives, il n’a plus le droit à l’erreur.
Formellement, c’est le conseil d’administration, c’est-à-dire les
représentants des actionnaires, qui sont les propriétaires de l’entreprise.
C’est une douzaine de personnes, souvent des dirigeants eux-mêmes. Tout dépend du rapport de forces entre le patron et le conseil. Mais ce
sont parfois les crises qui décident. Après la mort accidentelle de Christophe
de Margerie, patron de Total, en 2014, c’est son prédécesseur qui a repris la
main quelques temps, le temps que le successeur Patrick Pouyanné, qui était
déjà l’un des cadres dirigeants de la maison, s’installe. Même dans les
transitions prévues et balisées, il y a toujours un moment délicat. Le patron
d’une belle PME familiale me racontait récemment que lorsque son propre père,
fondateur de l’entreprise, lui a transmis les rênes, au moment de conclure, le
père a dit "je signe ma propre mort de mon vivant". Tout est dit. Pour un
patron, un entrepreneur encore davantage, c’est contre-nature de s’effacer.
Il n’y a pas de règles sur la durée d'un mandat, mais des
limites d’âge, qui varient selon les entreprises. Aujourd’hui, c’est toute une
génération de patrons de grandes entreprises françaises qui passe la main,
celle des baby-boomers, chez Valéo, Cap Gemini, la Société générale,
Saint-Gobain ou encore Orange. Elle a eu à charge de mondialiser nos
entreprises, et de composer avec le pouvoir croissant des marchés financiers.
La suivante hérite d’un monde beaucoup plus chahuté et par les crises
géopolitiques et par le changement climatique.